6ème extinction de masse : que prévoit vraiment le gouvernement ?
La France a enfin un plan pour endiguer la crise du vivant à l'horizon 2030. Au delà des belles paroles, La Corneille a soulevé le capot de la feuille de route gouvernementale pour en analyser les ambitions. Mises en contexte, réelles avancées ou imprécisions; voici tout ce que vous devez savoir sur la troisième édition de la Stratégie Nationale Biodiversité.
“La radicalité des résultats sans la brutalité des mesures.”
Non, il ne s’agit pas là d’une punchline lâchée fièrement par un candidat au concours d’une grande École, mais d’une citation d’Élisabeth Borne.
Lundi 27 novembre, c’est au terme de deux ans de consultation et de co-construction avec les différentes parties prenantes que la Première ministre a présenté la troisième "stratégie nationale biodiversité" (SNB pour les intimes). Ce plan comporte 40 mesures organisées autour de quatre axes : réduire les pressions qui s’exercent sur la biodiversité, restaurer la biodiversité dégradée partout où c’est possible, mobiliser tous les acteurs et garantir les moyens d’atteindre ces ambitions.
Ainsi, la SNB traduit les engagements internationaux de la France et décline, à l’échelle nationale, les objectifs de l’accord de Kunming Montréal adopté par la 15ème réunion de la Conférence des Parties (COP15). Celui-ci prévoit notamment la conservation de 30 % des zones terrestres, des eaux intérieures et des zones côtières et marines ainsi que la restauration de 30 % des écosystèmes dégradés.
C’est donc, en quelque sorte, le chemin à parcourir pour atteindre nos ambitions à l’horizon 2050. Et, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il est encore long ce chemin.
Des stratégies nationales biodiversité de 2004 et de 2011, nous retenons que “les pressions affectant la biodiversité n’ont pas été réduites significativement ”. Manque de mise en cohérence de l’action publique, absence de transformation des politiques sectorielles à l’origine des pressions, absence d’objectifs clairs, de cibles chiffrées et de plans d’actions pour les atteindre… Bref, comme le souligne le CESE, “les résultats des deux SNB sont restés très en deçà des objectifs”.
“Vraiment ??”
Oui.
- 105 466 hectares d’espaces naturels, agricoles et forestiers ont été artificialisés entre 2017 et 2022. (Portail de l’artificialisation des sols)
- 17 % des espèces de faune et de flore actuellement éteintes ou menacées d’extinction en France. Le tout avec un risque d’extinction ayant augmenté de près de 14 % en moins de dix ans. (OFB)
- Seuls 20 % des habitats naturels métropolitains ont été évalués en bon état de conservation. (OFB)
- Et, pompon sur le béret, entre 2015 et 2020 environs 100 000 millions de doses de pesticides ont été utilisées chaque année sur notre territoire. (Ministère de la Transition écologique)
Comment faire mieux ?
Et bien, c’est en principe tout le sujet de cette troisième “Stratégie Nationale Biodiversité”.
Les pressions sur la biodiversité n’ont qu’à bien se tenir !
“Inédit”, “ambitieux”, “enrichi”... Dans sa présentation, le gouvernement peut se targuer d’avoir fait mieux que tous les précédents, puisqu’il n’existait quasiment rien avant.
“C’est bien mieux que les versions précédentes”, salut alors auprès de La Corneille Hélène Soubelet, directrice de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB). “C’est toujours mitigé, mais la version 3 est plus forte que les deux premières. C’est déjà une bonne nouvelle”, appuie également Cédric Marteau, porte-parole de la Ligue de protection des oiseaux (LPO).
Néanmoins, la Première ministre l’a redit : pas question d’aller à l’encontre du “développement des territoires et de la croissance économique”, pourtant à l’origine des nombreuses pressions qui pèsent sur la biodiversité.
Ils ne manquent pas d’aires protégées
Déjà au top. C’est l’idée qu’essaie de faire passer le gouvernement en présentant sa trajectoire pour freiner l’érosion de la biodiversité. “Nous avons déjà atteint les objectifs de Kunming-Montréal”, claironne Élisabeth Borne, en revendiquant la protection de 31,2% du territoire terrestre national et 33,6 % des espaces maritimes.
Ce cap a en réalité été atteint en février 2022 - selon le gouvernement - soit bien avant la COP 15 biodiversité de Kunming-Montréal qui s’est déroulée en décembre. Dans ses ambitions censées traduire les engagements du sommet international, la France prévoit alors seulement de “bien gérer les 30% d'aires protégées”. Comment ? Ces espaces ne seraient donc pas “bien gérés” pour l’instant ?
“Pour le moment ce ne sont pas des aires protégées”, répond cash Hélène Soubelet, directrice de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB), qui a pourtant œuvré des années au ministère de l’environnement. “On sait que pour être efficace, il faut réglementer voire interdire les activités néfastes et ce n’est pas le cas.”
Alors pour “fixer la barre plus haute encore”, le gouvernement promet de placer 10% de notre territoire sous protection forte d’ici à 2030. Ce critère - dont les contours viennent d’être redéfinis -n’exclut pour la première fois qu’un seul type d’activité : l’extraction minière.
En fonction des situations, il est néanmoins toujours possible de pêcher, chasser ou construire de nouvelles infrastructures dans ces espaces censés être au top du top de la protection en France.
Face aux critiques, le ministre de l’Écologie, Christophe Béchu plaide le “principe de réalité”, mais promet tout de même de travailler sur une “inversion de la charge de la preuve”. Un jour peut-être, seules les activités qui démontrent ne pas avoir d'impact sur la biodiversité pourraient alors être autorisées dans ces espaces protégés. Il est toujours permis de rêver !
Pour le moment, cette “protection forte” ne concerne que 4,2 % du territoire, mais devrait s’étendre à 5 % des mers hexagonales; à la moitié des récifs coralliens présents en Outre-mer d’ici à 2030, et à l’ensemble des glaciers à une date encore inconnue. Par ailleurs, un douzième parc naturel consacré à la protection de zones humides en projet depuis 2008 devrait enfin voir le jour au printemps prochain. Suspense, suspense…
Les belles promesses de l’artificialisation
Pour la principale menace identifiée par les scientifiques de l’IPBES (l’équivalent du GIEC pour la biodiversité), le plan gouvernemental est peu bavard. “La consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers sera divisée par deux d’ici 2030”, annonce seulement la SNB, en reprenant l’objectif de zéro artificialisation nette à l’horizon 2050.
Usant de sa plus belle rhétorique, le gouvernement évoque “de nouveaux modèles d’aménagement durable à réinventer, en conjuguant sobriété et qualité urbaine”, mais oublie de mentionner les 12 milliards d’euros d’argent public provisionnés pour 55 projets routiers contestés en France - répertoriés par Reporterre - et qui représentent près de 4 488 hectares à artificialiser.
Une “trame noire” encore très obscure
Tout en développant de grands projets d’aménagement, la France entend également réduire de 50% Ia pollution Iumineuse d’ici à 2030, sans pour autant avancer d’indicateurs pour le mesurer. Elle évoque le développement de “trame noir” - des passages laissés dans l’obscurité pour le déplacement des espèces - mais prévoit simplement de “renforcer” les obligations existantes sur I’extinction des vitrines, de I’écIairage des équipements sportifs hors événements, des serres et de I’écIairage pubIic en cœur de nuit. La moindre des choses, quand on sait qu’en 2020 près de 85% du territoire métropolitain est exposé à un niveau élevé de pollution lumineuse..)
Fini les compétitions de jet ski… dans une unique aire marine déjà protégée
Sur la pollution sonore, la secrétaire d'État chargée de la biodiversité, Sarah El Haïry, annonce “une nouveauté issue de la concertation”. Dans le détail, cet enrichissement prend la forme de deux petites mesures : la mise en œuvre de “plans de gestion” des navires des compagnies maritimes, sans calendrier ni objectifs chiffrés, ainsi que la fin des compétitions de véhicules nautiques à moteur, uniquement dans l’aire (déjà) protégée de Pelagos - située entre l’Italie, Monaco et la France. Oui on sait, il faut bien commencer quelque part…
Un “Tracnat” pour la biodiversité
Pour traquer les actes illégaux en matière de biodiversité, le gouvernement a semble-t-il été plus inspiré. Un service national spécialement dédié au contrôle des obligations environnementales sera mis sur pied dès 2024. Dénommé “Tracnat” - en référence à son homologue sur la fraude fiscale “Tracfin” - il sera chargé d’empêcher le commerce des espèces en danger, la déforestation importée, ou encore l’approvisionnement de minerai issu de conflit.
Coups de poing contre les espèces exotiques
Attention aux espèces exotiques envahissantes (EEE), qui ravagent les écosystèmes et coûtent près de 423 milliards de dollars par an au niveau mondial, avait alerté l’IPBES en septembre.
Message compris, tente aujourd’hui de signaler le gouvernement en prévoyant de réduire “d’au moins 50 % le taux d’établissement d'espèces exotiques envahissantes connues ou potentielles d’ici 2030”. Et pour cela, il a trouvé la solution miracle : des opérations coup de poing - notamment pour arracher à la main les plantes qui menacent les forêts guyanaises. Il est prévu d’en lancer près de 500 d’ici à 2025. Un objectif louable mais qui se révèle inutile s’il n’est pas suivi de contrôles réguliers. “Les graines peuvent rester en terre plus de 14 ans avant de germer. Ça veut dire qu'il faut assurer un suivi régulier après éradication pour voir s'il n'y a pas d'autres pousses qui sortent de terre et qui vont détruire nos espèces endémiques”, rappelait ainsi Denis Louis-Régis, le président du Parc Naturel de Martinique, à propos d’un programme de replantation en 2021.
Les autres pressions ? On verra plus tard.
Climat, plastique, agriculture… La SNB a également réussi à éviter plusieurs grands sujets qui fâchent en renvoyant les actions à d’autres plans ou à de futurs accords internationaux.
- Rendez-vous manqué avec l’agriculture
C’est le principale regret des associations de protection de l’environnement : très peu de passages de la SNB concernent l’agriculture. C’est pourtant l’une des activités les plus néfastes pour le vivant au niveau mondial par l’artificialisation des sols et les intrants chimiques qui menacent de nombreux êtres vivants.
Alors que la France s’est abstenu par deux fois sur la réautorisation du glyphosate au niveau européen, elle s’en remet désormais uniquement au plan Écophyto 2030. Une stratégie issue du Grenelle de l’environnement qui avait déjà comme objectif phare la réduction de moitié de l'usage des pesticides à l'horizon 2018.
Près de cinq ans plus tard et 800 millions d’euros dépensés, l’objectif n’est toujours pas atteint. “La poursuite en l’état pose la question de la crédibilité de l’action publique”, avait carrément taclé l’inspection générale des finances, dans un rapport remis en mars 2021 au gouvernement.
Qu’à cela ne tienne, l’exécutif “réaffirme” l’ambition de 2018 pour espérer la réaliser à l’horizon 2030. Soit la diminution de moitié de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, cette fois-ci par rapport à la période 2015-2017.
Pour le reste, la SNB renvoie vers l’adoption de futures politiques agricoles et mentionne tout juste la volonté d’augmenter la superficie de cultures en légumineuses, ou de développer la production d’algues.
- “Une ligne de front entre climat et biodiversité”
C’est ce que veut éviter le gouvernement en reprenant une demande des associations pour interdire la superposition entre zone protégée et parc d’éoliennes offshore. Biomasse, barrages hydraulique ou encore agrivoltaïque, le ministre de l’écologie reconnaît en conférence de presse que la lutte contre le dérèglement climatique peut parfois aller à l’encontre de l’équilibre des écosystèmes, mais n’annonce rien d’autres sur ce point. Seuls les objectifs de lutte contre le changement climatique déjà définis par ailleurs sont rappelés.
- “Au rythme auquel nous allons, il y aura plus de plastique que de poissons dans l’océan en 2050”
Christophe Béchu a tenu à rappeler sa position ambitieuse dans les négociations internationales sur le plastique. Réunis au Kenya en novembre, les États n’ont pas réussi à s’entendre sur la réduction de la production portée par une coalition de pays dont fait partie la France. Dans son plan, le gouvernement prévoit alors de tout faire pour l’adoption d’un traité et ne se focalise sinon que sur la gestion des déchets. Il annonce résorber les 94 décharges identifiées sur le bord de mer, et engager ’ensemble des communes littorales dans la démarche “plages sans plastiques” d’ici à 2030.
Restauration ou compensation camouflée ?
La restauration de la nature est LE sujet à la mode en ce moment. Il vient avec son lot de débat sur la pertinence des objectifs fixés et sur les moyens mis à disposition par les institutions. La SNB tente de fixer le cap.
Une haie d’honneur pour le linéaire végétal
Créer “50 000 km nets de haies d’ici 2030”. C’est l’objectif avancé par la SNB, avec une petite nouveauté par rapport à la version provisoire de cet été : le suffixe “net”. Celui-ci prend enfin en compte les haies arrachées chaque année (environ 23 000 km/an) pour mieux coller à la réalité. Néanmoins, les bonnes nouvelles pour ces trésors de biodiversité s’arrêtent là. Aucun indicateur chiffré n’est à déclarer concernant le maintien des haies existantes, ni sur leur état de santé.
Enfin depuis 2015, la politique agricole européenne sanctionne l’arrachage des haies. Quoi ? Vous ne le saviez pas ? La plupart des agriculteurs non plus apparemment. L’État prévoit ainsi de clarifier les règles et les sanctions, et de mettre en place une formation pour les gestionnaires de haies, ainsi qu’un “label haie”.
Restaurer les prairies… d’aérodromes
“De nouvelles mesures sont ajoutées pour la restauration de prairies permanentes”, clame le gouvernement. Chouette ! On imagine alors de belles étendues d’herbes au milieu de forêts.
Pas vraiment.
La stratégie met en fait l’accent sur les prairies des aérodromes. Il est ainsi prévu de labéliser “Aérobio” 40 aérodromes d’ici à 2030. Sur les 489 recensés en France, cela fait très peu. Mais en plus, aucune exigence sur le niveau du label à atteindre n’est précisé. La restauration vantée peut donc aller d’“intégrer durablement et promouvoir la biodiversité” à simplement “connaitre la biodiversité”. Greenwashing vous dîtes ?
Les zones humides ? Ça coule de source
Restaurer “50 000 hectares de zones humides d’ici à 2026”. Le chiffre claque mais il est en réalité une reprise des point avancés lors du plan national des milieux humides 2022-2026, initié en mars 2022. Il est simplement prévu de “poursuivre les efforts” jusqu’à 2030 sans donner de réels objectifs.
En Europe, faites ce que je dis…
La restauration de la nature fait l’objet d’intenses batailles au sein de l’Union européenne. Dans sa stratégie, la France se vante d’avoir soutenu l’adoption d’un règlement “ambitieux et mesurable”.
Pourtant, en juin dernier, Emmanuel Macron avait jeté le trouble en déclarant : “Nous, on a déjà passé beaucoup de réglementations au niveau européen, plus que les voisins […]. Maintenant, il faut qu’on exécute, pas qu’on fasse de nouveaux changements de règles, parce que sinon on va perdre tous les acteurs”.
En deçà des attentes de la COP 15 ou des accords de Paris, le projet de loi de renaturation des écosystèmes européens a concentré les oppositions, surtout de la part de la droite. Son examen a dû être reporté et son approbation s’est réalisée au prix d’un important détricotage. Le texte doit encore être validé par le Conseil et le Parlement européen. ”Le signal est flou, déplore Cédric Marteau, responsable protection de la nature pour la Ligue de protection des oiseaux (LPO). À nous maintenant de suivre les objectifs chaque année.”
“Si on plante, c’est qu’on s’est planté.”
Si cette petite boutade d’écologue pourrait faire sourire; la lecture des ambitions de la SNB sur la résilience du système forestier n’est pas pour rassurer. “1 milliard d’arbres d’essences diversifiées adaptées au climat futur seront plantés”, telle est l’une des mesures phares de ce plan et du discours du gouvernement sur la biodiversité. 1 milliard d’arbres, concrètement, cela représente 10% de nos forêts.
Plus que le nombre, c’est la diversité des espèces plantées et le soin qui leur sont apportés durant leur vie qui est gage de résilience. L’indice de biodiversité potentielle (IBP) permet de le mesurer mais est simplement évoqué dans la stratégie annoncée.
Enfin, s’il est fait mention de la nécessité de sélectionner des essences “adaptées” au changement climatique, les critères environnementaux restent flous. En juillet 2023, le Comité national de la biodiversité (CNB) avait alors proposé d’introduire des indicateurs précis sur la dégradation ou la richesse en essences forestières. Impossible de savoir pour le moment si ces préconisations ont bien été entendues.
À quand un thermomètre de la biodiversité ?
Comment compter la biodiversité ? Dans la SNB, comme dans les échanges autour de la stratégie à mener, la question revient sans cesse. “Nous n’avons pas cet indicateur immédiat qui permet [comme pour le climat] de mesurer la où nous en sommes au niveau de la biodiversité”, a rappelé Christophe Béchu lors de la présentation de la stratégie. Pour tenter d’y faire face, celle-ci prévoit notamment de multiplier les inventaires naturalistes et de développer l’analyse ADN environnementale. Cette technique, encore exploratoire, permet d’identifier à partir de simples échantillons les différents êtres vivants qui résident ou ont traversé un milieu naturel.
“On commence à avoir des cibles et indicateurs, applaudit Cédric Marteau de la LPO. Il y a une prise de conscience, mais on ne mesure pas encore la rapidité avec laquelle ça arrive.” En suivant les recommandations du CNB, la stratégie intègre notamment certains indicateurs sur les continuités écologiques. Néanmoins, ces derniers restent peu nombreux et la plupart sont encore en construction. “Cela reste une feuille de route non contraignante, rien n’est arrêté légalement”, déplorent les associations.
Les espèces menacées dans le viseur
Qui dit grande biodiversité dit grandes responsabilités ! La France fait partie des dix pays abritant le plus d’espèces menacées au monde, selon l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
La SNB met donc l’accent sur l’amélioration des connaissances des espèces, et particulièrement sur la flore et les invertébrés d’Outre-mer, qui représentent la grande majorité de la diversité biologique française.
- Les pollinisateurs ont le bourdon
Essentiels à notre alimentation et aux avant-postes de l’effondrement du vivant, les pollinisateurs ne font pourtant l’objet que d’un recyclage du plan national - en vigueur depuis 2021 - sans que rien ne soit annoncé au delà de 2026. Un manque d’ambition selon le CNB, qui regrette l’absence d’actions pour “inverser le déclin”.
- Réglementation, ça pêche encore pour les dauphins
Plusieurs fois rappelée à l’ordre sur les méthodes de chasse et de pêche illégales par la Commission européenne et le Conseil d’État, la France aurait pu profiter de la SNB pour se mettre définitivement en règle. Si elle prévoit bien la mise en place et le renforcement dès 2023 du plan d’actions dauphins dans le Golfe de Gascogne, aucun détail supplémentaire n’est avancé dans la stratégie.
- Quand c’est flou, il y a un loup
Au détour des quelques 300 pages de la feuille de route du gouvernement, on tombe sur une proposition quelque peu énigmatique : “faire évoluer nos modes de gestion des espèces prélevées en milieu naturel pour éviter la surexploitation”.
Traduction : le gouvernement entend développer le dispositif de “gestion adaptative” qui permet de chasser certaines espèces situées entre le statut de protection et la catégorie des espèces susceptibles d'occasionner des dégâts (ESOD). Un entre-deux qui concerne aujourd’hui le Grand tétras, la Barge à queue noire, le Courlis cendré et la Tourterelle des bois - nous dit la SNB.
L’ambition est d’étendre ce statut à d’autres espèces de la faune et la flore sauvage pour à la fois prévenir les dégâts “occasionnés par certaines espèces protégées” et assurer leur “conservation”. “Une vaste fumisterie”, selon Marc Giraud, porte-parole de l’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas). “C’est en réalité une étape pour faire sauter les statuts de protection qui va dans le sens des chasseurs”, considère-t-il. Sans le citer, de nombreux observateurs y voient là un moyen de justifier le plan loup présenté en juillet par le gouvernement et mis en consultation jusqu’au 7 décembre. Celui-ci prévoit "de faciliter les tirs de défense", tout en poursuivant les actions pour le développement des moyens de protection. Une parfaite illustration du “en même temps” macronien.
Peut mieux faire
“Peut mieux faire.” Cette phrase assassine des bulletins scolaires pourrait tout aussi bien être un commentaire affligé aux moyens alloués à cette SNB.
Un petit milliard
Et en parlant de moyens, commençons par les fameux “1 milliard d’euros supplémentaires pour la protection de la nature et de l’eau” annoncés pour 2024. Lorsqu’on lit les propositions, nous comprenons rapidement que de “supplémentaires”, il n’y aura en réalité que 264 millions d’euros affectés au “programme 113 eau et biodiversité”. Le reste provient de la pérennisation des moyens mobilisés sur le fonds friches (300 millions), du renouvellement forestier prévu par France 2030 et de la résorption des décharges littorales.
Alors 1 milliard, cela peut sembler beaucoup, mais ce chiffre est à nuancer. Selon une étude de l’Institut Paulson, le succès de l’accord de la COP15, à l’origine des ambitions de la SNB, serait conditionné à un flux d’investissements annuels dans la conservation compris entre 700 et 800 milliards de dollars. Soit une multiplication par cinq des investissements actuels à l’échelle internationale
En France, ces investissements sont pourtant déjà bien plombés par des subventions dommageables. Représentant un minimum de 10,2 milliards d’euros en 2022 - soit 4,4 fois plus que le budget proposé par le gouvernement - ces subventions servent notamment à soutenir des pratiques agricoles dommageables (6,7 milliards d’euros) et l’artificialisation des sols (2,9 milliards).
Mais que l’on se rassure, Sarah El Haïry a affirmé qu'une "mission" allait être lancée "avec les ministères de l'Économie et de l'Agriculture" afin de "réorienter" ces subventions "pour accompagner la transition écologique". Un engagement pourtant déjà pris en 2007 lors du Grenelle de l’environnement, dans la SNB n°2 et… au niveau européen en 2011. “Ce n’est pas réjouissant, mais cela montre que l’on avait fait des annonces sans moyens” a rétorqué Christophe Béchu lors de la conférence de presse.
Équipage à la mer
Outre le financement riquiqui proposé pour la biodiversité, la question qui fâche reste celle des effectifs. Si un renforcement du nombre d’agents engagés sur le terrain est prévu avec 141 emplois supplémentaires, cela pourrait ne pas être suffisant. Oui, 141, cela reste moins que les 475 suppressions de postes prévues à l’Office national des forêts (ONF) d’ici 2025, qui a déjà perdu 38% de ses effectifs en vingt ans. Pas mieux non plus du côté de l’Office français de la biodiversité (OFB) qui, après une longue bataille, s’est vu lui aussi amputé de 20 équivalents temps plein en 2021.
Fédérer, former, jouer, célébrer
Pour embarquer entreprises, collectivités, citoyens - petits et grands - tous les moyens sont bons.
Du côté des entreprises, c’est Sarah El Haïry qui est aux manettes.
Après l’annonce de la SNB, ce sont près de 150 entreprises qui ont été réunies le 29 novembre “pour engager la mobilisation des acteurs économiques en faveur de la biodiversité”. L’objectif de cette rencontre : “entamer un cycle de travail sur la réduction de leur exposition aux risques générés par l’effondrement du vivant, et d’identification de leurs opportunités pour une prospérité durable fondée sur une nature restaurée et préservée”. Tout un programme qui devra prendre vie en seulement… deux mois.
Pour les autres acteurs, on continue sur la même lancée.
10 fois plus de services civiques en faveur de l’environnement, des aires éducatives dans un établissement scolaire sur trois, formation “climat, biodiversité et épuisement des ressources” pour 2,5 millions d’agents de la fonction publiques d’ici à 2027.
Et, cherry on the mille-feuille administratif…
Du lourd pour “sensibiliser pour passer à l’action” avec une fête de la nature augmentée version fête de la musique et le jeu “mission nature” en partenariat avec la Française des jeux. 0,43 euro par ticket acheté reversé par l’État à l’OFB, ça ne se refuse pas.
High Level
Lumière au bout du tunnel, l’annonce d’une gouvernance claire pour cette SNB 3 se veut rassurante.
En réponse aux critiques sur le faible portage politique, ainsi qu’à l’avis du CNB, le pilotage et la coordination seront supervisés par le Secrétariat général à la planification écologique. C’est donc la “première fois que Matignon est spécifiquement positionné en tour de contrôle d’une stratégie biodiversité”. Preuve d’une réelle prise au sérieux du sujet ? La réponse au prochain bilan.