La riposte des humains

Cet article fait partie de notre série "La riposte du vivant" qui explore les conséquences de l'utilisation de pesticides sur la biodiversité.

À cette occasion, dix scientifiques se font les messagers d’une espèce à travers une lettre imaginée en provenance du front.

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“Nos patients sont tous sont concernés par les pesticides”. Fin mars, près de 1000 médecins lançaient un cri d’alerte aux pouvoirs publics. “On ne peut impunément balayer d’un revers de main le travail de la recherche publique”, avertissaient les professionnels de santé dans une pétition inédite.

Comme le rappellent les soignants, les impacts des pesticides sur la santé humaine sont considérables, “ce sont des faits scientifiques, pas des opinions”. Aliments que nous mangeons, air que nous respirons, eau que nous buvons… nous sommes en contact avec des résidus de pesticides à de nombreuses échelles, sans toujours nous en rendre compte. Avec les nouvelles techniques d’analyse, nous savons par exemple que plus de 30 % de l’eau distribuée en France n’est pas conforme aux normes de qualité. Nos corps sont donc directement imprégnés par les pesticides et les Français seraient bien plus exposés qu’en Allemagne ou en Amérique du Nord, selon une étude de l'Institut de veille sanitaire (InVS) publiée en 2019.

Les agriculteurs en première ligne

En contact direct avec des produits parfois dangereux, les professionnels manipulant des pesticides sont les premières victimes. Diverses pathologies, dont des cancers du sang et des maladies neurodégénératives telles que la maladie de Parkinson, sont associées à l’exposition aux pesticides des agriculteurs, selon l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).

“Sur les adultes, on peut affirmer qu’au moins six pathologies sont liées aux pesticides”, précise Xavier Coumoul, chercheur en biochimie et toxicologie, ayant participé à ces études. En plus des cancers et des maladies chroniques, il cite des nouvelles formes de troubles cognitifs impactant la mémoire et la concentration, et même des pathologies respiratoires, comme des bronchites chroniques.

Des conséquences tragiques et bien concrètes que l’on retrouve aussi chez les enfants des professionnels concernés. Cancers, altération des capacités cognitives, sensorielles et motrices : “nous avons trouvé quatre pathologies liées avec certitude aux pesticides”, explique Xavier Coumoul. Par exemple, les pyréthrinoïdes - une famille d’insecticides fréquemment employés dans l’agriculture et l'élevage, mais également dans des sprays antimoustiques ou les shampooings antipoux - provoqueraient “des troubles du comportement, de type anxiété qui peuvent provoquer de la peur et des troubles du sommeil pour les enfants”.

Personne n’est épargné

Au-delà des zones de culture, nous sommes tous confrontés à l’exposition aux pesticides. “Pour la population générale, les risques des perturbateurs endocriniens font consensus”, insiste ainsi l’Alerte des médecins sur les pesticides (AMLP). Des troubles de la fertilité, aux troubles métaboliques (surpoids et diabète) en passant par les cancers hormono-dépendants et les troubles du neuro-développement, les habitants des villes et des campagnes, les plus âgés comme les plus jeunes, sont menacés, même à faibles expositions.

“C'est un peu comme la cigarette, on ne peut pas savoir si on aura un cancer, en regardant simplement le nombre de cigarettes fumées par jour. Cela dépend de la personne et des comportements”, explique Xavier Coumoul. “Si vous prenez une ferme dans l'Ohio aux États-Unis et une vigne dans le bordelais, c’est très différent. Mais malgré cette diversité, on est quand même capable de dire qu’il y a des risques dans chacun des cas.”

Rendre l’information disponible

Alors que faire ? Les médecins signataires de la pétition demandent d’abord de mieux protéger les agriculteurs, en élargissant notamment la liste des pathologies reconnues par le tableau des maladies professionnelles (MP). Ils demandent également à revoir la gestion de la qualité de l’eau et surtout à promouvoir massivement l’agriculture biologique pour favoriser l’environnement et la santé.

“Les pouvoirs publics essaient d'être rassurants pour gagner du temps, mais ce n’est jamais bon de cacher des éléments scientifiques”, juge pour sa part Xavier Coumoul. En reprenant la comparaison avec un autre puissant lobby, il ajoute “le tabac n'est pas interdit en France, mais la plupart des gens qui fument connaissent les effets. Il faudrait que cette information sur les pesticides soit tout autant accessible, disponible et intégrée.”