La France, championne d’Europe de la démolition de barrages
Régulièrement pointée du doigt par l’Union européenne pour les pollutions agricoles qui contaminent les rivières, la France a misé gros sur l’effacement des barrages pour rétablir les continuités écologiques des cours d’eau. Avec 156 barrages supprimés en 2023, le pays devance ainsi pour la première fois l’Espagne, la Suède et le Danemark.
156 barrages ont disparu du paysage français en 2023. Vous ne l’aviez pas vu ? Nous non plus. C’est pourtant un record, tant national qu’européen ! Et oui, le mouvement de libération des cours d’eau ne cesse de grossir. En seulement une année, l’élimination des barrages a augmenté de 50 % sur le vieux continent, atteignant 487 projets répartis dans 15 pays.
En tout, ce sont près de 4 300 km de cours d’eau qui ont pu être reconnectés, selon le décompte de la Fondation mondiale pour la migration des poissons. Réduction des risques pour les kayaks et baigneurs, coup de boost pour l’économie ou solution pas chère et efficace ; l’ONG affirme que la suppression des barrages vétustes et inutilisés cochent toutes les cases. Même si sur le terrain, cette solution peut parfois faire des remous, notamment quand il s’agit de défendre les anciens moulins. L’effacement des barrages est pourtant essentiel “pour nous fournir de l’eau potable, de l’eau pour l’agriculture et de l’eau pour la biodiversité”, selon Claire Baffert, responsable de la politique européenne du WWF.
Permettre le retour des poissons migrateurs
En bloquant les voies de migration des poissons, les 150 000 obstacles répertoriés en France - soit un tous les 4km - bouleversent les écosystèmes fluviaux. Transport de nutriments, nourriture pour d'autres espèces comme les loutres et les oiseaux, engrais pour les algues… les poissons migrateurs sont à la base de l’équilibre de nombreux cours d’eau. Leur population a pourtant diminué de 93 % en Europe au cours des 50 dernières années.
Sur un cours d'eau comptant 10 obstacles, les poissons auraient seulement 3% de remonter en amont. Limiter ainsi leur reproduction, c'est provoquer un dangereux effet boule de neige pour de nombreux écosystèmes. Sans parler du fait que les obstacles bouleversent aussi le flux de nombreux sédiments et éléments nutritifs. Ainsi, plus de la moitié des cours d'eau européens ne seraient pas suffisamment sains pour fonctionner correctement et soutenir les objectifs en matière de biodiversité.
Le concours du meilleur effacement de barrage
Face à ce constat, la suppression des barrages est la solution la plus rentable par rapport à la modernisation ou l'amélioration des infrastructures dégradées, affirme le mouvement Dam Removal Europe. Simple, efficace et rapide, la suppression de barrages pourrait être 10 fois moins coûteuse que l'entretien et la réparation continus, selon une étude de l'Institut de l'Université des Nations unies sur l'Eau, l'Environnement et la Santé (UNU-INWEH).
Pour le prouver, la fédération d’associations organise chaque année le grand prix de l’élimination de barrage. Une compétition européenne, où le public est appelé à voter pour son projet préféré. Cette année, la suppression du barrage Urrutienea sur la Nivelle, entre l’Espagne et la France, fait partie des nommés.
Cette digue de 5 mètres de haut, hors d’usage depuis 10 ans, était le dernier obstacle présent sur le cours d’eau pour les saumons, anguilles et autres espèces emblématiques des Pyrénées. Convoité pour produire de l’hydroélectricité, le barrage est finalement racheté en 2020 par la fédération de pêche qui le démolit aussitôt (voir vidéo).
Quelques mois plus tard, les premiers saumons absents depuis des siècles font leur retour dans le cours d’eau, qui se refait une santé écologique. Une success story qui reste malheureusement une goutte d’eau dans un océan de rivières entravées. 1,2 million de barrages, dont plus de 150 000 considérés comme obsolètes, restreignent encore la circulation des usagers et de la faune sauvage en Europe. Avec la loi de restauration de la nature, l’Union européenne prévoyait de rétablir le libre écoulement d’au moins 25 000 km de cours d’eau d’ici à 2030 (voir notre article). Mais le texte est aujourd’hui menacé et les barrages pourraient s’effondrer avant sous le poids des tempêtes plus intenses et des inondations extrêmes dues au changement climatique.