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Biodiversité : Peut-on faire confiance à l’IPBES ?

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Biodiversité : Peut-on faire confiance à l’IPBES ?
La Corneille
20/12/2024

Alors que le Giec de la biodiversité publie deux rapports inédits, son fonctionnement est sous le feu des critiques. Entre l’intervention des États ou des lobbies, on vous dit pourquoi les travaux de cet organisme de l’ONU sont aujourd’hui solides.

Clap de soulagement, ce lundi 17 décembre. Après onze jours de négociations, les États membres de l’IPBES ont adopté les deux rapports sur lesquels des centaines de scientifiques planchaient depuis trois ans. Si la séance plénière est moins visible que celle des Conférence des parties (COP), elle met en œuvre un processus similaire d’adoption à l’unanimité. Les connaissances scientifiques (dont nous nous sommes fait l’écho ici et là) doivent en effet servir de référence pour les prochaines années. Intervention des Nations Unies, trouble jeu des lobbies ou points de blocage : on vous dit tout sur la crédibilité de la plateforme de connaissance dédiée à la biodiversité.

Qui approuve les rapports de l’IPBES ?

En plus des nominations d’experts, les États valident les rapports de l’IPBES avant leur publication. Il y a déjà le rapport en entier qui est généralement approuvé sans aucune modification, et il y a ensuite le résumé à destination des décideurs, dont l’approbation est plus délicate. Réunis à Windhoek, en Namibie, les représentants des 147 pays membres de l’IPBES ont ainsi négocié ligne par ligne les conclusions à tirer du travail réalisé par les experts. Le principal défi est de se mettre d’accord sur les termes exacts à faire figurer sur le texte final.

11 ème session de l'IBES en Namibie. - IISD/ENB - Kiara Worth

Les appels à réduire la consommation de viande sont par exemple souvent contestés et mettent alors en lumière des oppositions entre les pays du Nord et du Sud. Des alliances entre États sont créées en amont pour faciliter les débats, notamment entre pays avec des intérêts similaires et entre pays de la même région du monde (l’Union européenne adopte par exemple une position commune). “Cela peut prendre jusqu’à huit jours de négociations, car on retrouve les mêmes points de blocage que pendant les COP, même si celles-ci sont plus politiques”, note Coline Léandre.

“L’IPBES répond à une commande des États, donc ils veulent notre avis. Ils ont demandé à ce qu’on les bouscule”

Quels sont les points de blocage ?

Cette année, les discussions entre représentants des États membres ont été particulièrement compliquées. “Il s’agissait de rapports avec des messages très politiques”, explique Sandra Luque, autrice du rapport Nexus, qui ne s’attendait pas à la présence de la Russie dans les négociations, dont le représentant aurait cherché “à tout changer”.

Alors que le multilatéralisme est en perte de vitesse, l’IPBES en tant qu’organe de l’ONU ne fait pas exception. “La science dit qu’il faut arrêter de réfléchir à court terme pour mettre en place des solutions coordonnées, sortir des décisions en silo. Cela a été beaucoup débattu, ça n’a pas plu à certains”, rapporte Sandra Luque, par ailleurs chercheuse à l’Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE).

Séance plénière en décembre pour l'adoption des deux rapports de l'IPBES. - IISD/ENB - Kiara Worth

Lors de la séance plénière qui doit permettre l’adoption définitive des résumés de rapport, l’ambiance été particulièrement tendue. Alors que le Brésil a souhaité ajouter des amendements au texte, des réunions en huis clos ont été organisés par le président de séance pour résoudre le problème. Les représentants de l'Union européenne se sont dit préoccupés par le fait que “les interventions au cours de cette session indiquent que la confiance dans l’intégrité de l’IPBES est perçue par certains comme menacée.”

“L’IPBES répond à une commande des États, donc ils veulent notre avis. Ils ont demandé à ce qu’on les bouscule”, considère Timothee Fouqueray, un des auteurs du rapport sur les changements transformateurs. “Ce n’est pas politique en soi. On ne va pas dire ce que les États doivent faire, on dit simplement les choses qu’ils peuvent faire. Et on leur dit qu’aujourd’hui, on ne peut pas ignorer les dégâts de la croissance dans la crise environnementale.”

À la fin, lorsque le texte final est adopté, il faut encore le rendre cohérent avec le rapport complet. Quelques ajustements sont apportés, mais Patrick Giraudoux, co-auteur du rapport Nexus : “je n’ai vu pour l’instant aucune différence avec la version produite par les scientifiques”.

Peut-on leur faire confiance ?

Bien que filtrés par les positions des États, les rapports de l’IPBES s’appuient sur la connaissance scientifique. Chaque affirmation énoncée est ainsi classée selon le niveau de preuves disponibles : “Bien établi”, “Établi, mais incomplet”, “Non résolu” ou “Non concluant”. Chaque affirmation du résumé est affiliée à un chapitre du rapport complet, où toutes les sources sont disponibles de manière transparente. Enfin, les rapports sont ouverts aux contributions extérieures à deux reprises pour permettre un meilleur contrôle. Si les groupes d’intérêts ou les lobbys peuvent aussi en profiter pour émettre des avis, ceux-ci doivent tout de même être relus et validés par les experts mandatés par la plateforme.

11 ème session de l'IBES en Namibie. - IISD/ENB - Kiara Worth

Pour autant, c’est grâce à ce mécanisme que l’on s’est rendu compte des failles dans le fonctionnement de l’IPBES. En 2015, lors de l’ouverture aux contributions du premier projet de rapport au sujet des pollinisateurs (les organismes qui permettent de féconder les plantes), le biologiste Gérard Arnold n’en revient pas. Tout d’abord, sur les 500 pages du rapport traitant du déclin des insectes, la section sur les pesticides n’en comporte que 18. Ensuite, les articles scientifiques sélectionnés minimisent clairement le rôle des pesticides dans leur déclin, et lorsque des preuves de la toxicité de ces produits sont évoquées, elles sont accompagnées de termes comme « preuves limitées », « pas de fortes preuves », « les preuves sont encore rares »… On découvre plus tard que deux auteurs de ce chapitre sont également salariés de Sygenta, le groupe qui défend les intérêts de producteurs de pesticides. Si le rapport final est modifié grâce aux avis de Gérard Arnold, cet épisode entache fortement la crédibilité de la plateforme pour son premier rapport. L’IPBES défend son modèle de relecture, prétend que les professionnels des secteurs concernés par ses rapports doivent aussi y contribuer et assure avoir mis en place tous les garde-fous nécessaires pour éviter ce type d’erreurs. Il n’empêche, pour beaucoup de spécialistes, comme le biologiste Pierre-Henri Gouyon, les industriels de l’agrochimie tentent toujours d’influencer les rapports de l’IPBES à leurs avantages.

Les recommandations scientifiques de l’IPBES sont-elles suivies ?

Depuis son premier rapport global en 2019, les travaux de l’IPBES servent de référence aux négociations internationales sur la biodiversité. Régulièrement convoqués lors des COP - les conférences internationales des Nations Unies - les rapports de l’IPBES ont amenés à une certaine prise de conscience politique pour mettre en place des décisions, notamment lors de l’édition organisée en 2022 au Canada. Au niveau politique et à l’international, l’effondrement de la biodiversité est ainsi un fait scientifique acquis.

Mais l’IPBES reste bien moins connu que son homologue sur le climat, le GIEC. Plus récente et traitant d’un thème moins accessible, la plateforme sur la biodiversité peine encore à se faire entendre. La couverture médiatique reste bien moins importante que pour le climat, près de huit fois moins selon une étude canadienne. Le fait de proposer un rapport transversal pour traiter de sujets concrets tels que l’eau, l’alimentation et la santé pourra peut-être lui permettre de mieux diffuser ses travaux.

Dessin à propos du dernier rapport de l'IPBES. - IISD/ENB - Kiara Worth

Une réflexion soutenue par la Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité serait par ailleurs sur le point d’être engagée pour diffuser les consensus de l’IPBES au-delà des cercles décisionnels. Par la création de guides pratiques, l’ambition est de rendre accessible au grand public le repérage des messages clés et la compréhension de termes difficiles.

Enfin, une collaboration plus étroite entre l’IPBES et le GIEC est aussi dans les tuyaux, pour mieux expliquer le lien entre climat et biodiversité. Après un premier rapport commun en 2021, une nouvelle plateforme vise à mieux lier et diffuser les connaissances de chaque institution.

Image d'illustration : le représentant du Japon, Wataru Suzuki, utilise une petite paire de jumelles pour lire le texte projeté sur l'écran lors des sessions dtravil d'IPBES en Namibie. - IISD/ENB - Kiara Worth

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