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Contre les pesticides, le vivant peut aussi devenir un allié

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Contre les pesticides, le vivant peut aussi devenir un allié
Alban Leduc
17/7/2024

C’est un fait scientifiquement établis : l’ensemble du vivant souffre de l’utilisation de pesticides. Pourtant, la diversité biologique offre une alternative crédible et efficace pour les remplacer.

Imaginez des centaines de canards lâchés dans les cultures après la plantation des semis pour qu’ils puissent manger les insectes et les mauvaises herbes. Incroyable non ? Et pourtant, il s’agit bien d’une méthode naturelle pratiquée et développée par l’agriculteur japonais, Takao Furuno, dans les rizières depuis 1989.

Alors que les produits phytosanitaires s’attaquent massivement au vivant, on oublie que la biodiversité peut en retour être un allié de taille dans la régulation des espèces considérées comme des “nuisibles” pour les cultures. Depuis longtemps, on utilise les coccinelles pour s’attaquer aux pucerons dans les jardins, on piège certains insectes avec de la bière ou du lait. Alors pourquoi ne pourrait-on pas développer ces techniques à grande échelle ?

Le “biocontrôle” a la cote !

Les solutions de biocontrôle - de leur petit nom - représentaient déjà 13 % du marché de la protection des plantes en 2021, selon le Ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire. Mais pour aller plus loin, les appels à projet pour identifier de nouvelles options ne cessent de se multiplier. Depuis de nombreuses années, les laboratoires de recherches comme l’INRAE planchent sur le sujet et des programmes publiques, comme “cultiver et protéger autrement” mis en place en 2019, entendent garantir la démocratisation d’une agriculture sans pesticides dans quelques années. Au dernier Salon de l’Agriculture à Paris, le gouvernement a ainsi remis plusieurs centaines de millions sur la table pour favoriser la recherche en biocontrôle. Pour l’occasion et pour “accompagner le déploiement de solutions favorables à une production agroécologique durable”, une association a même été créée…. par l’industrie phytopharmaceutique et a déjà touché une enveloppe de 42 millions d’euros pour les six prochaines années.

Concrètement, les alternatives aux pesticides s’appuient majoritairement sur quatre catégories du vivant. Les macroorganismes (comme les nématodes, les insectes auxiliaires ou encore les acariens), les microorganismes (comme les bactéries, virus et champignons), les substances naturelles (d’origine minérale, animale ou végétale comme l’acide pélargonique naturellement secrété par les géraniums) et des médiateurs chimiques. Dans les vergers, des phéromones peuvent par exemple être diffusés pour brouiller le message entre les papillons mâle et femelle, ce qui diminue le nombre d’accouplements et donc la présence de vers dans les fruits.

Le risque de créer de nouveaux “biopesticides”

Si ces nouvelles sont réjouissantes, prudence est de mise. Parmi les solutions esquissées, “on a de tout, cela va des plus vertueuses aux plus discutables”, selon Christophe Mougel, chercheur en écologie et en génétique des interactions plantes-microbiotes à l’INRAE, qui distingue deux grandes philosophies.

Les interactions naturelles dont on peut s’inspirer, considérées comme une façon de rééquilibrer les systèmes bénéfiques. “Les maladies sont toujours présentes dans la nature, mais il y a normalement des interactions qui permettent de les réguler à un seuil acceptable.” C’est l’idée du biocontrôle par conservation, qui va par exemple privilégier l’installation de bandes fleuries en bordures de cultures pour accueillir des populations d’insectes, ennemis naturels des ravageurs. “Cela peut marcher sur les petites surfaces, mais c’est plus complexe sur les grandes cultures”, nuance tout de même Christophe Mougel.

Autre solution, le biocontrôle par inondation. Il s’agit ici d’apporter un élément extérieur dans le système pour favoriser la compétition. Certaines bactéries et champignons peuvent ainsi jouer le rôle de pesticides naturels. C’est le cas de Bacillus thuringiensis (Bt) qui agit comme un insecticide sélectif des chenilles et permet de lutter contre de nombreux insectes “ravageurs”. “Problème : en apportant massivement quelque chose dans un milieu, on joue sur la biodiversité, avec parfois des effets non intentionnels”, rappelle Christophe Mougel. Certains industriels cherchent en effet à isoler la molécule pour la transformer en produit concentré. Ces produits plus proches de “biopesticides” offrent alors la possibilité d’utiliser le vivant comme solution de contrôle des cultures à grande échelle. Aux États-Unis par exemple, près de trois quart des maïs cultivés ont été modifiés génétiquement pour produire directement la toxine "Bt" présente sous forme de microorganisme à l’état naturel. Résultat, les insectes ciblés se sont aujourd’hui adaptés. La molécule perd ainsi de son utilité.

Aux États-Unis, près de trois quart du maïs cultivé a été modifiés génétiquement pour produire directement la toxine "Bt" présente sous forme de microorganisme à l’état naturel. © Wikicommon - Agricultural Experiment Station

Pour éviter ces déconvenues, la France est un des seuls pays européens à contrôler l’utilisation de biocontrôles. Les solutions - bien que naturelles - doivent d’abord bénéficier d’une autorisation de mise sur le marché. La procédure est toutefois accélérée et les taxes réduites pour encourager les alternatives aux pesticides. Les organismes introduits doivent également figurer sur la liste positive établie par l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) afin d’éviter l’introduction d’espèces invasives. À la fin des années 1980, la coccinelle Harmonia axyridis, ou coccinelle d'Asie, avait par exemple été introduite en Europe pour lutter contre les pucerons, mais avait par la même décimé les populations de coccinelles endémiques.

Changer de modèle

Plus que la possibilité d’utiliser le vivant comme pesticide, ce sont les pratiques et les changements de perception qui interrogent. Une étude publiée le 6 mars 2024 bouleversait les idées reçues en montrant que les prédateurs naturels comme les oiseaux, coléoptères et araignées pouvaient augmenter les rendements des cultures de 25 %, en s’attaquant aux populations d’espèces “nuisibles”.

Pour faire face à la jaunisse qui touche les betteraves en France, les agriculteurs ne peuvent par exemple plus compter sur les néonicotinoïdes - des pesticides enrobés sur les graines qui perturbent gravement les abeilles et autres pollinisateurs. Alors que l’interdiction de cette substance n’a cessé d’être repoussée, les scientifiques ont mis au jour dès 2021 un large éventail de solutions fondées sur la nature. On tente notamment aujourd’hui de développer la diffusion de Chrysoperla carnea, un insecte de l'ordre des névroptères pour contrer le développement du puceron responsable de la jaunisse.

Les betteraves qui nepeuvent plus être enrobées de néonicotinoïdes pourraient à moyen-terme bénéficier de l'aide d'insectes pour se protéger de la jaunisse. © Flickr

Mais pour que celui-ci s’installe et trouve du miellat pour se nourrir, il va falloir multiplier les plantes refuges à fleurs, supprimées des bordures de champs avec la mécanisation des cultures. Ainsi, remplacer simplement un produit phytosanitaire par un biopesticide ne suffit pas. Pour que les rendements puissent se maintenir et que les solutions naturelles puissent s’épanouir, il est essentiel d’augmenter la diversité des espèces présentes sur une exploitation. Nous avons montré avec notre série que pour maintenir la biodiversité essentielle à notre survie, il est urgent de réduire l’utilisation de pesticides chimiques. S’inspirer du vivant pour se nourrir sans le détruire c’est donc déjà bien. Mais lui donner la possibilité de s’épanouir en mettant en place une agro-écologie au service du bien commun, c’est encore mieux.

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