COP28 : biodiversité, la grande absente ?
De la biodiversité à la COP28 ? Oui vous avez bien lu. Entre les délires technologiques et les tergiversations sur la sortie des énergies fossiles, jamais une conférence internationale sur le climat n’aura consacré autant de temps à la nature. Malheureusement, on est encore loin du compte, et le sommet de Dubaï n’a pas vraiment permis de passer la seconde.
De la biodiversité à la COP28 ? Oui vous avez bien lu. Entre les délires technologiques et les tergiversations sur la sortie des énergies fossiles, jamais une conférence internationale sur le climat n’aura consacré autant d'attention à la nature. Malheureusement, on est encore loin du compte, et le sommet de Dubaï n’a pas vraiment permis de passer la seconde.
Une seule et unique journée dédiée à la nature
COP contre COP. C’est un peu la grande crainte des spécialistes de la biodiversité en suivant les conférences des Nations unies sur le climat. On y discute pendant des jours des menaces et solutions qui pèsent sur l’environnement, en oubliant souvent de mentionner le vivant et les avancées des autres COP, notamment sur la biodiversité. On risque tout simplement “d’apporter une solution d’un côté que l’on va détruire de l’autre”, s’inquiète Maud Lelièvre, présidente française de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN),
Oui parce qu’on l’oublie souvent, mais il y a bien trois types de conférences thématiques sur l’environnement (censées être équivalentes) : climat, biodiversité et désertification. Un découpage des menaces décidé par les États lors du sommet de la Terre à Rio de Janeiro en 1992. “À l’époque, on avait raison, mais il fallait alors toujours choisir son camp”, observe Maud Lelièvre, qui se rappelle avoir poussé pour la première fois des “solutions natures” (c’est ce qu’on disait à l’époque) lors de la COP21 sur le climat en 2015. Le changement climatique avait déjà du mal à infuser, alors à ce moment-là les réponses des écosystèmes étaient plutôt réservées aux risques naturels, comme les inondations.
Ce n’est que quatre ans plus tard, en 2019, que les sujets biodiversité sont clairement évoqués lors d’une COP climat. “On a parlé pour la première fois des glaciers et de la nature à la COP25 de Madrid parce qu’elle devait initialement se tenir au Pérou”, retrace la climatologue française Heidi Sevestre.
Des paroles, des paroles mais il faudra attendre la rencontre de Glasgow en 2022 pour que le sujet soit enfin inscrit dans la déclaration finale, à travers des passages sur la déforestation et l’océan. Et encore, le terme de “solution fondée sur la nature” présent lors des négociations est finalement abandonné au dernier moment.
"Aucune des deux crises (climatique et de la biodiversité) ne pourra être résolu avec succès si les deux ne sont pas abordées ensemble”, rappelait pourtant en 2021 le premier rapport commun entre le Giec, le groupe d’expert international sur le climat, et son homologue sur la biodiversité, l’IPBES. “Il y a eu un tournant à ce moment-là”, se souvient Maud Lelièvre. Le Giec en pleine montée de légitimité a en effet permis avec cette première étude conjointe de sortir la biodiversité de son coin. Un an plus tard, la COP15 biodiversité de Montréal transforme l’essai en attirant une attention inédite sur les enjeux du vivant, et notamment leurs liens avec le climat.
La biodiversité se fait timidement une place dans le document final
Plus d’excuses donc pour faire l’impasse sur la biodiversité lors des négociations internationales sur le climat. Le 9 décembre 2023, la COP28 consacre même une journée entière à la “nature, l’utilisation des sols et les océans”. Les délégations en ont profité pour rappeler à longueur de tweets leur attachement au sujet et pour faire quand même quelques annonces.
Le Royaume-Uni a par exemple promis une augmentation de près de 72,5 millions de livres (soit 84 millions d’euros) de son programme “Blue Planet Fund”, afin de soutenir les pays en voie de développement dans leurs politiques de protection des mers et des océans. La France en a profité pour préparer la “Conférence des Nations Unies pour les Océans” qui se tiendra à Nice en 2025. Quatre milliards de dollars devraient enfin être investis par une coalition d’Etats pour restaurer 15 millions d’hectares de mangroves d’ici à 2030.
En bref, “une occasion pour les gros acteurs de faire des annonces et des engagements mais les négociations ont plutôt lieu durant l’entièreté de la COP”, résume Juliette Landry, chercheuse à l’Institut du Développement Durable et des Relations Internationales (Iddri). Autrice d’un rapport sur les enjeux de biodiversité à destination des organisateurs de la COP, elle préfère insister sur les objectifs nationaux fixés par les États. “La COP28 lance pour la première fois un appel aux pays pour qu'ils relient leurs contributions déterminées au niveau national [sur le climat] et leurs stratégies et plans d'action nationaux pour la biodiversité (SPANB)”, écrit la spécialiste de la gouvernance internationale sur la biodiversité.
À l'arrivée, la déclaration sur laquelle se sont accordés près de 200 pays rappelle "la nécessité urgente de traiter, de manière globale et synergique, les crises mondiales interdépendantes du changement climatique et de perte de biodiversité" et insiste sur "l’importance de garantir l’intégrité de tous les écosystèmes, y compris les forêts, l’océan, les montagnes et la cryosphère". Si l'accord censé constituer le premier bilan de l’accord de Paris de 2015 fait bien référence aux solutions fondées sur la nature et aux objectifs de préservation de la biodiversité fixés à Montréal, tout va maintenant se jouer dans les nouveaux engagements des Etats présentés d’ici à fin 2024. “Il y a des éléments de langage assez généraux, mais on laisse libre choix aux Etats de choisir comment atteindre leurs objectifs”, explique Juliette Landry, en soufflant : “il va falloir faire un suivi”.
Les solutions fondées sur la nature sous-cotées ?
Des mammouths, rennes et chevaux sauvages à Dubaï ? Pendant la 28ème conférence des Nations unies sur le climat aux Émirats arabes unis, un stand proposait aux visiteurs de s’immerger virtuellement dans la toundra russe d’il y a 14 000 ans. Au-delà de l’expérience numérique, l’animation vise surtout à promouvoir le projet un peu fou - et franchement flippant - d’un milliardaire russe : réduire le réchauffement climatique en créant une sorte de Jurassic Park peuplé de mammouths laineux réanimés.
L’idée c’est d’empêcher les fuites de méthane provoquées par le réchauffement climatique en se servant des gros mammifères pour piétiner le sol et y faire pénétrer la glace. Une illustration des nombreuses (et parfois farfelues) pistes liées à la nature, qui se retrouvent sur la table des négociations internationales pour faire face au changement climatique.
Mais contrairement au mammouth - qui exige une grosse manipulation génétique - les “solutions fondées sur la nature” désignent essentiellement les manières de réduire ou de faire face au changement climatique tout en favorisant la préservation d’espaces naturels. Il s’agit alors de protéger les baleines, de maintenir les mangroves ou de favoriser les arbres pour bénéficier de leurs services de captation de carbone ou d’atténuation face à la montée des températures.
De tout et n’importe quoi
“C’est très tendance depuis quelques années”, explique Juliette Landry, chercheuse pour l’Institut du Développement Durable et des Relations Internationales (Iddri). “Cela a conduit à faire tout et n’importe quoi avec parfois le non-respect de l’intégrité environnementale.” Depuis son apparition dans les discussions internationales en 2009, l’idée est surtout critiquée pour ses programmes d’afforestation. Soit transformer en forêts des espaces qui ne l’étaient pas avant, pour stocker du carbone, entrant parfois en concurrence avec des espaces agricoles, ou au mépris des populations autochtones et des écosystèmes.
Alors en mars 2022, l’Assemblée des Nations unies pour l'environnement a sifflé la fin de la partie en adoptant des standards plus stricts pour “parvenir à une compréhension commune entre les États membres en ce qui concerne la mise en œuvre de solutions fondées sur la nature”.
Mais certains acteurs économiques continuent à appuyer sur les impacts négatifs des solutions fondées sur la nature pour freiner leur développement, considère Maud Lelièvre, présidente du Comité français de l’UICN. “Il y a beaucoup d’argent dans le carbone et dans les solutions. Beaucoup n’ont donc pas intérêt à développer les solutions low-cost.” Un constat partagé par le Global Rewilding Alliance, qui œuvre à réensauvager les espaces naturels. Selon cette association, en plus des atouts climatiques et pour la biodiversité, les solutions fondées sur la nature permettent aussi de mobiliser un imaginaire plus réjouissant pour combattre le réchauffement climatique.
Face aux mondes ultra technologiques présentés à la COP de Dubaï, les solutions fondées sur la nature peuvent “faire travailler nos imaginaires” et “favoriser le low-tech” avec “le concours des populations autochtones”, approuve la climatologue Heidi Sevestre. Mais en voyant certains participants venir à la COP en hélicoptère et face à la réanimation du mammouth, la scientifique présente sur place, rappelle : “je veux pas casser leur délire mais la solution la moins chère et la plus efficace, de loin, c’est d’arrêter de brûler des énergies fossiles”.
Attention à ne pas miner la biodiversité en combattant le climat
Et si les avancées obtenues sous les applaudissements à la COP se retrouvaient en réalité dommageables pour la planète. C’est l’une des inquiétudes grandissantes qui résulte du déficit de reconnaissance des enjeux de biodiversité face au climat. La COP28 vient par exemple d’entériner le triplement de la production d’énergies renouvelables pour 2030, alors que de plus en plus de voix s’élèvent en Europe pour rappeler que ces projets peuvent mettre à mal les équilibres naturels.
En novembre, l’association Wild Legal pointait par exemple du doigt “les carences graves relevées par les scientifiques dans la stratégie de déploiement” des éoliennes offshore, “qui menace les habitats et la faune marine d’une destruction irrémédiable”. Plus largement, les besoins en minerais pour l’industrie verte et les voitures électriques poussent à l’exploitation minière des fonds marins, ce qui ruinerait de nombreux écosystèmes jusque-là laissés plutôt tranquilles.
“C’est pour certains prendre le problème par le mauvais bout”, tempère Juliette Landry. “Ces effets indésirables sont pour l'instant minimes à côté des impacts du changement climatique, contre lequel la première chose à faire est de réduire les émissions, même s’il convient bien évidemment d’évaluer et de réduire les impacts des solutions au changement climatique”. Prendre en compte les effets indirects sur la biodiversité quitte à freiner les énergies renouvelables ? La question divise dans les cercles spécialisés.
“On ne va quand même pas investir de l’argent public pour détruire la planète”, tranche de son côté Maud Lelièvre de l’UICN. Pour elle, il est urgent de s’attaquer au problème puisque ces actions pourraient avoir des “impacts irréversibles”. “Personne n’est en capacité de prévoir les conséquences de la sixième extinction de masse et on ne peut pas revenir en arrière. Une technologie qu’on a considérée comme bonne à une époque peut se retourner contre nous.”
Et pourquoi pas une “COP des non-humains” ?
Mammouth, technologie de captation carbone, dommages collatéraux… La biodiversité est tout de même restée largement à l’écart des discussions à Dubaï. Si certains demandent à fusionner les différentes COP thématiques pour prendre en compte le problème dans sa globalité, d’autres n’ont pas attendu l’ONU pour proposer des pistes. Le magazine Cui-Cui a ainsi organisé en marge de l’évènement émirati une “COP des non-humains” pour imaginer ce que pourraient dire les autres espèces à la table des négociations si elles y étaient invitées. Une idée que l’on va tenter de souffler à l'Azerbaïdjan, qui vient d’être choisi pour organiser la COP 29, en 2024…