C’est quoi l’équivalent du Giec pour la biodiversité ?
Peu connu du grand public, l’IPBES - qui se prononce “hipe-besse” - va peut-être enfin sortir de l’ombre... Les 17 et 18 décembre, l’organisation scientifique mise en place par l’ONU pour travailler sur la biodiversité a publié deux rapports coup sur coup. L’un sur les changements à mettre en place pour altérer l’effondrement de la biodiversité, et l’autre sur les liens de la biodiversité avec l'eau, l'alimentation et la santé. Retour en détails sur ce drôle de machin onusien qui a du mal à exister à côté du GIEC, son homologue plus connu dédié au climat.
C’est quoi l’IPBES ?
L’IPBES c’est, en français, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques. Il s’agit d’un groupe d’experts internationaux qui collaborent pour produire des évaluations scientifiques sur les enjeux liés à la biodiversité. La plateforme a été créée il y a seulement 12 ans, en 2012, soit deux décennies après la formation du GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) qui ne s’intéresse qu’aux enjeux climatiques.
La nouvelle plateforme a la mission de condenser et de résumer les résultats scientifiques les plus récents sur la biodiversité et les services écosystémiques, afin de les rendre accessibles aux décideurs politiques et au grand public. Ses rapports listent des outils concrets à intégrer aux politiques publiques pour agir en faveur de la préservation du vivant.
Formée dans le cadre de l’Organisation des Nations Unies (ONU), comme une aide à la décision pour les États, cette institution est présidée par un collège de 25 experts nommés par les gouvernements. Ce sont eux qui font ensuite appel à des contributeurs du monde entier pour rédiger les rapports. Chaque nomination doit respecter les critères de parité femmes-hommes, de représentation des disciplines et d’origines dans le monde. Elles sont toutes validées par les gouvernements d’origine des auteurs concernés. En septembre 2024, 147 États sont membres de l’IPBES et peuvent donc contribuer par l’intermédiaire d’experts nationaux à la réalisation des rapports.
Comment ça fonctionne ?
L’IPBES n’est pas un laboratoire de recherche. La plateforme publie uniquement des rapports qui compilent toutes les connaissances scientifiques existantes sur une thématique donnée. Il s’agit de résumés scientifiques et techniques, principalement à destination des institutions scientifiques, politiques, et des entreprises.
La production d’un rapport suit toujours un calendrier très précis. D’abord, une première “plénière” (une réunion en présentiel où les délégations votent) est organisée pour décider du prochain sujet à étudier. Cela peut être un thème large comme “l’effondrement de la biodiversité” ou un focus plus précis comme sur “le rôle des pollinisateurs”. On choisit ensuite les experts qui vont participer aux travaux. Pour le prochain document à paraître, 165 experts ont par exemple été sélectionnés, en provenance de 57 pays différents. Pendant un an, ces contributeurs réalisent pour la plupart bénévolement une synthèse de la littérature et rédigent leur chapitre attribué.
Une première version du texte est ainsi mise à disposition du public pour obtenir des retours, demandes de correction ou de modifications de la part d’autres scientifiques, des ONG ou des secteurs économiques concernés. Le chapitre 1 du dernier rapport aurait par exemple reçu plus de 800 remarques auxquelles les auteurs sont tenus de répondre. Après ces amendements, une seconde version est de nouveau proposée pour relecture, afin d’aboutir à une version finale du rapport qui peut atteindre plus de 1700 pages !
Tout se joue donc ensuite pour établir une version résumée à l’intention des décideurs. À ce moment-là, ce sont les auteurs coordinateurs de chaque chapitre qui prennent le relais pour rédiger une version courte des travaux réalisés. Ce résumé doit être approuvé par les États réunis en session plénière à la fin du processus. Pendant plusieurs jours, les représentants de tous les pays vont ainsi discuter ligne par ligne du contenu du rapport, pour en adopter une version finale d’un cinquantaine de pages environ. Le compte-rendu des échanges est alors rendu public par le média de l'ONU.
C’est quoi la différence avec le GIEC ?
On dit souvent que l’IPBES est l’équivalent du GIEC, sur le thème de la biodiversité. Bien qu’ils s’adressent tous les deux aux institutions politiques internationales et territoriales et aux entreprises pour orienter leurs décisions, ils ne sont pas tout à fait similaires.
- Au niveau du calendrier d’abord, le GIEC publie trois rapports tous les cinq à sept ans, alors que l’IPBES n’a pas de cycle prédéfini et publie un ou plusieurs rapports tous les ans.
- Ensuite, la composition de leur groupe d’experts diffère. Tandis que le GIEC est composé à 100% de chercheurs du monde académique, l’IPBES intègre des experts non-académiques.
“20% des auteurs d’un rapport (de l’IPBES, NDLR) ne sont pas des chercheurs universitaires, ce qui permet d’intégrer des connaissances non-scientifiques, comme des données du secteur industriel ou administratif, et les savoirs autochtones”, explique Coline Léandre, chargée de coordination pour le groupe d’experts français de l’IPBES.
La plateforme sur la biodiversité fait ainsi office de précurseur dans la reconnaissance des savoirs autochtones au sein des institutions internationales. Ces communautés locales ont pour la plupart conservé un rapport à la nature différente des sociétés industrialisées, dont la connaissance est essentielle pour protéger la biodiversité. Des ateliers avec des représentants de communautés locales et anthropologues sont organisés pour intégrer leurs avis et connaissances dans les rapports. Un groupe composé de représentants de communautés locales est même chargé de relire tous les travaux pour éviter le manque de reconnaissance ou les erreurs.
Pourtant, la science dans sa conception occidentale a encore du mal à s’appuyer sur ces connaissances orales et diffuses. Ces communautés seraient ainsi réduites à un rôle “informatif et facilitateur” pour les prises de décisions, en réalité fondées sur des schémas occidentaux, considèrent deux chercheuses de l’université de Toronto.
À côté des communautés locales, d’autres “parties prenantes” issues des milieux économiques, des services publics ou des think-tank (groupes de réflexion privés) peuvent aussi contribuer aux travaux de la plateforme. Contrairement aux travaux du GIEC principalement réservés aux spécialistes des sciences dites “dures” (mathématiques, physiques…), l’IPBES tient aussi à intégrer les sciences sociales.
Qu’est ce que dit l’IPBES ?
L’IPBES alerte maintenant depuis plus de 10 ans sur l’effondrement rapide de la biodiversité et ses conséquences à travers la publication d’une dizaine de rapports.
- La première “Evaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques”, publiée en 2019, a permis pour la première fois d’établir de façon consensuelle que l’effondrement de la biodiversité s’accélère depuis 50 ans. Il rappelle notamment qu’1 million d’espèces sont menacées d’extinction et que 75% de la surface de la Terre et 66% des océans ont été significativement altérés par l’activité humaine. Le rapport conclut qu’il est nécessaire de mettre en place des “changements transformateurs” pour enrayer la situation, en questionnant par exemple le caractère infini de la croissance, en altérant la surconsommation ou en imposant des mesures contraignantes aux industries réfractaires.
- En 2021, l’IPBES se coordonne au GIEC (le groupe d’experts mondial sur le climat) pour rappeler que les crises de la biodiversité et du climat sont liées et qu’elles présentent la même cause : l'activité économique humaine, qui détruit des écosystèmes et émet des émissions de gaz à effet de serre dans l'atmosphère.
- En 2022, l’Évaluation sur l’utilisation durable des espèces sauvages atteste que des millions de personnes dépendent des espèces sauvages (nourriture, santé, énergie, revenus..). Réduire la surconsommation de ces espèces est alors identifié comme un levier crucial pour renverser le déclin de la biodiversité. 34% du stock de poissons sauvages est par exemple considéré comme surexploité.
D’autres rapports plus précis mettent en avant le déclin des pollinisateurs, de la pollinisation et des risques sur la production alimentaire (en 2016), la dégradation et la restauration des sols (2018) ou encore la menace des espèces exotiques envahissantes (EEE) en 2023.
L’IPBES propose enfin des rapports méthodologiques qui ont pour but d’outiller plus concrètement les experts travaillant sur les enjeux de biodiversité, que ce soit les experts de l’IPBES eux-mêmes, ou des chercheurs externes. Par exemple, l’Evaluation méthodologiquedes scénarios et modèles de la biodiversité et des services écosystémiques (2016) atteste que fournir des scénarios “exploratoires” (qui anticipent des tendances dans l’avenir) aident à palier à l’incertitude quant à l’effondrement de la biodiversité et appuie les décideurs pour un calendrier politique adapté. Le rapport suivant paru en 2019 sur l’effondrement de la biodiversité a donc été structuré autour d’une projection à 2050 d’un rééquilibrage des écosystèmes et de notre rapport au vivant.