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Comment tout changer (ou presque) pour enrayer l’effondrement de la biodiversité ?

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Comment tout changer (ou presque) pour enrayer l’effondrement de la biodiversité ?
La Corneille
19/12/2024

L’IPBES - l’équivalent du Giec sur la biodiversité - publie un rapport pour montrer à quoi devrait ressembler les mutations de la société pour restaurer la biodiversité. Un programme détaillé et ambitieux, dont on vous résume ici tous les points clefs.

À longueur de rapports et de discours politiques, on nous rappelle qu’il faut tout changer pour résoudre les multiples crises environnementales. Pour que les tenants de l’inaction n’aient plus aucune excuse, l’IPBES - l’équivalent du GIEC sur la biodiversité - publie une notice pratique pour réellement mettre en œuvre ce “changement transformateur”, que les experts mandatés par les Nations Unies imaginent aussi massif que la révolution industrielle du 19e siècle. Ils nous invitent tous, collectivement, à changer de paradigme, pour arrêter de considérer la nature et les humains comme des ressources à exploiter.

Un plan d’attaque, parfois à la limite de l’anticapitalisme, qui a eu du mal à être adopté par tous les États membres de l’organisation lors de la séance plénière du 16 décembre 2024. Des amendements au texte auraient notamment été intégrés par le biais de négociations à huit clos. Les représentants de l’Union européenne se sont dit préoccupés par le fait que “les interventions au cours de cette session indiquent que la confiance dans l’intégrité de l’IPBES est perçue par certains comme menacée.” Pour autant, pendant trois ans, plus de 100 experts issus de 42 pays différents ont compilé le maximum de recherches scientifiques pour dessiner le virage que nous devrions emprunter pour freiner l’effondrement de la biodiversité. En voici les principaux enseignements.

Il est encore temps d’agir pour freiner le déclin de la biodiversité

Perte de biodiversité, changement climatique, pollution.. Nous sommes confrontés à des crises mondiales multiples qui interagissent et s’alimentent entre elles. Et l’urgence est de plus en plus pressante.

Avec le déclin de la biodiversité, nous mettons en péril la santé des écosystèmes et le bien-être humain. Il existe ainsi aujourd’hui de sérieux risques de franchir plusieurs points de bascule irréversibles. Les milieux ou le système planétaire ne pourront alors plus encaisser les chocs. Cela pourrait conduire à de graves conséquences en cascade. La disparition des récifs coralliens des basses latitudes, le dépérissement de la forêt tropicale amazonienne et la perte des forêts du Groenland et de l'Antarctique occidental sont particulièrement scrutés.

Face à cet énorme défi, les solutions précédentes et actuelles n'ont pourtant pas réussi à stopper ou à inverser le déclin de la nature à l'échelle mondiale, constatent les experts de l’IPBES, en faisant le point sur ce qui a nous a conduit à détruire la biodiversité jusqu’ici :

1) La déconnexion et la domination de la nature et des personnes

C’est l’idée selon laquelle l’humain est séparé et supérieur à la nature. Ce point de vue nous pousse à concevoir la nature comme une ressource que nous pouvons exploiter. Mais cette idée conduit “aussi à l'exploitation de personnes et de communautés spécifiques pour créer la force de travail nécessaire à l'exploitation de la nature”, indique l’IPBES. Cette conception a des racines historiques profondes et a eu des impacts étendus à travers le colonialisme, l'esclavage, le modernisme, le capitalisme et les économies axées sur la croissance, précisent les auteurs.

2) La concentration du pouvoir et des richesses

En 2021, la part de la richesse mondiale détenue par les 1 % les plus riches de la population mondiale était de 39,2 %, tandis que les 50 % les plus pauvres détenaient qu’1,85 % de cette richesse, rappelle le rapport. Et cela a un impact sur la biodiversité, car les plus riches sont responsables d'une utilisation disproportionnée des ressources naturelles, de niveaux de consommation non durables et des impacts environnementaux qui en découlent.

3) La priorité donnée aux gains matériels, individuels et à court terme

La recherche de l’accumulation de biens matériels comme source de bonheur contribue à épuiser les ressources naturelles et le bien-être humain.

Causes sous-jacentes, facteurs indirects et facteurs directs de la perte de biodiversité et du déclin de la nature. - IPBES

Mais il faut aller vite !

Face à ces orientations sociétales destructrices pour l’environnement et l’humain, il est néanmoins possible de changer de trajectoire. Le rapport identifie quatre grandes valeurs à poursuivre pour y arriver : l’équité et la justice, le pluralisme et l’inclusion, des relations respectueuses et réciproques entre l'humain et la nature, et l’apprentissage ainsi que la mise en place d’actions d’adaptation.

Des bonnes intentions qu’il va tout de même falloir mettre en place très vite. L’IPBES appelle en effet à actionner un changement structurel. Pas une “transition”, “qui se réfère généralement à des changements ordonnés se produisant dans des secteurs, des systèmes ou des lieux spécifiques (comme la transition énergétique par exemple)”.

Non, l’urgence demande maintenant d’opérer un vrai “changement transformateur”.

Pour se représenter ce que nous devons changer, le rapport prend la révolution industrielle comme modèle. Un des processus les plus structurant du 19ème siècle qui a quand même conduit nos sociétés à basculer d’un système agraire et artisanale vers une société commerciale et industrielle. Pour l’IPBES, c’est ce type de transformation totale de la société que nous devons opérer, mais encore plus vite pour espérer “un monde juste et durable” !

“La propagation de nouvelles idées, normes sociales et comportements se fait souvent par le biais de processus complexes au sein des réseaux sociaux, en commençant lentement jusqu'à ce qu'une masse critique d'adeptes précoces soit atteinte”

5 stratégies à suivre, selon les scientifiques

Ok pour faire l’anti-révolution industrielle, mais comment on s’y prend ? Par où on commence ? Pas de panique, l’institution onusienne a défini quelques orientations pour nous donner des pistes, tout en laissant les États libres de choisir leurs stratégies :

  1. Conserver, restaurer et régénérer les lieux qui ont une valeur pour les individus et la nature et qui illustrent la diversité bio-culturelle

Il s’agit de préserver les lieux libres de l’intervention humaine et où certaines populations vivent davantage en cohérence avec la nature. Mais les scientifiques conseillent de sortir de la logique de conservation traditionnelle pour inscrire de nouveaux droits et protections juridiques pour les peuples et les lieux. Par exemple, le programme de foresterie communautaire au Népal intègre la vision et les besoins des communautés locales pour restaurer et gérer les forêts dégradées.

  1. Impulser des changements systématiques et intégrer la biodiversité dans les secteurs les plus responsables du déclin de la nature

Les secteurs de l'agriculture et de l'élevage, de la pêche, de l’industrie du bois, du développement urbain, de l'exploitation minière et des combustibles fossiles sont ceux qui causent le plus de dégâts à la biodiversité.Réduire, supprimer ou modifier ces dégâts est alors une priorité. Le rapport préconise notamment de mettre en place des solutions renouvelables pour se passer des énergies fossiles, mais rappellent que celles-ci doivent être respectueuses de la biodiversité. Les experts mettent par exemple en avant des possibilités de réseaux électriques plus intelligents (”smart grids”), s’inspirant des écosystèmes pour rationnaliser la consommation d'énergie.

3.   Transformer les systèmes économiques pour la nature et l’équité

Au niveau économique mondial, nous nous tirons une balle dans le pied, assurent les expets de l’ONU. Les secteurs les plus néfastes à la biodiversité sont aussi les plus subventionnés. L'agriculture reçoit entre 520 et 851 milliards de dollars d’argent public par an au niveau mondial. Les combustibles fossiles entre 440 et 1260 milliards de dollars. Les infrastructures routières et d'irrigation (254-938 milliards de dollars), la sylviculture (55-175 milliards de dollars) et la pêche (41-60 milliards de dollars) sont également fortement subventionnées.

  1. Transformer les systèmes de gouvernance pour qu'ils soient inclusifs, responsables etadaptatifs

Pour changer de paradigme, nous devons aussi changer la façon dont nous prenons les décisions politiques en intégrant davantage la voix des personnes et milieux non représentés. Par exemple, la réserve marine des Galápagos située dans l’océan Pacifique, permet à la fois de protéger la biodiversité, de soutenir la pêche pour subvenir aux besoin de près de 30 000 résidents et de garantir un tourisme durable en accueillant 300 000 visiteurs par an.

  1. Changer les points de vue et les valeurs pour reconnaître l'interconnexion entre les individus et la nature

C’est sûrement l’un des plus grands défis : changer nos façons de penser et notre rapport aux autres et à la nature. “La propagation de nouvelles idées, normes sociales et comportements se fait souvent par le biais de processus complexes au sein des réseaux sociaux, en commençant lentement jusqu'à ce qu'une masse critique d'adeptes précoces soit atteinte”, rappelle ainsi le rapport, en regrettant que la diffusion de fausses informations, notamment via les réseaux sociaux retarde ce changement et la place donnée aux savoirs autochtones et locaux. L’éducation et des médias spécialisés comme La Corneille sont alors essentiels pour opérer ce changement culturel.

Tout le monde a un rôle à jouer

Pour mettre en place ce “changement transformateur”, les experts de l’ONU indiquent que tout le monde peut agir dès maintenant à tous les niveaux.

  • Les États

Les gouvernements ont la capacité d’utiliser des outils économiques et fiscaux pour éliminer ou réformer les subventions nuisibles à l'environnement, qui atteignent entre 1 400 milliards et 3 300 milliards de dollars par an. Mais le rapport constate que les actions politiques sont aujourd’hui compromises par une inadéquation entre l'ampleur des défis liés à la biodiversité et la compétence d'institutions distinctes et cloisonnées, ainsi que par le décalage entre les mesures de long terme à mettre en place, et la focalisation des élus sur les élections.

  • Les individus

Nous avons tous aussi un rôle à jouer individuellement. Mais que ce soit par les syndicats, des groupes de jeunes pour le climat ou des organisations féministes, s’investir collectivement est plus efficace pour opérer ce grand virage transformateur. Par exemple, les auteurs du rapport notent que les initiatives culturelles telles que la musique, les contes, les documentaires, les films et le théâtre soutiennent aussi cette prise de conscience en encourageant l'imagination et l'engagement émotionnel à l'égard des questions écologiques. De manière plus pratique, les initiatives agroécologiques communautaires illustrent ces principes d'équité et de justice tout en mettant en œuvre des solutions pour le climat et la biodiversité.

  • La société civile

D’après une méta-analyse de près de 3 000 mouvements sociaux en faveur de la biodiversité, sur la période 1992-2022, les experts montrent qu’une grande partie d’entre-elles (40 %) se sont organisées dans des zones qui se situent dans les 30 % de régions prioritaires pour la conservation des espèces. La majorité de ces actions ont eu des conséquences favorables. La société civile joue ainsi un rôle important dans l'instauration d'un changement transformateur et elle est plus efficace dans un environnement propice ou au plus près des enjeux.

Carte illustrant le rôle crucial des mouvements sociaux dans la remise en cause des facteurs de perte de biodiversité et dans la promotion d'un changement transformateur. Les carrés indiquent les mouvements sociaux aboutissant à des résultats régressifs (par exemple, échec des décisions de justice, criminalisation, violence) ; Les ronds présentent ceux qui ont abouti à des résultats réformistes (par exemple, améliorations environnementales, solutions techniques) ; Les triangles représentent les mouvement au potentiel transformateur (par exemple, annulation ou retrait de l'activité menaçant la nature).

Ce rapport de l’IPBES est fondamental. Il permet pour la première fois de définir en détails les changements à opérer, que les scientifiques appellent depuis des années, pour résorber l’effondrement de la biodiversité. Il s’agit principalement de transformations culturelles et dans notre façon de penser, ce qui rend son application concrète et immédiate plus difficile. Pour autant, de nombreux exemples existent et montrent déjà la voie à suivre pour opérer cette révolution du vivant.

Image d'illustration : Neil Palmer / CIAT

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