Protéger un tiers de la planète : qui a eu cette idée folle ?
En 2022, les États se sont accordés à protéger 30% des terres et océans d’ici 2030. Un chiffre qui claque, mais qui masque le niveau des efforts à réaliser. La COP16 biodiversité pourra-t-elle y remédier ?
Après avoir célébré l’adoption de l’objectif visant à protéger 30% de la planète d’ici à 2030, c’est un petit peu la gueule de bois. Objectif historique ? Pas assez ambitieux ? Ou trop vague ? La COP 16 de novembre est l’occasion de faire un premier bilan.
L’idée de préserver des espaces de l’activité humaine est très ancienne. On date les premières mesures de protection des forêts aux alentours des 2700 ans av. J.-C en Mésopotamie… C’est pour dire ! Mais la forme de protection que nous connaissons a vraiment débuté dans la seconde moitié du 19e siècle, avec la “réserve artistique” de la forêt de Fontainebleau, créée en France en 1861 (nous vous en parlions dans cet article) ou avec le parc national du Yellowstone, initié en 1872 aux États-Unis. Des solutions qui se développent énormément dans la seconde partie du 20e siècle, où les réserves de chasse mises en place par les Occidentaux dans les territoires colonisés sont peu à peu transformées en parcs nationaux.
Les estimations de protection vont de 50 à 80% !
Avec la prise de conscience croissante de l’effondrement de la biodiversité, les scientifiques se mettent à calculer le pourcentage de protection nécessaire à l’échelle du globe pour la protéger. Le célèbre biologiste américain Edward O. Wilson - considéré comme le père de la notion de “biodiversité” - avance par exemple qu’il faudrait préserver la moitié de la Terre, tandis que d’autres estimations mettent la barre à 80%.
Pour initier le mouvement, les États s’accordent en 2011 à protéger 17 % des terres et 10 % des mers d’ici à 2020. Un des objectifs les mieux suivis.
Pour autant, l’ambition est insuffisante. À l’occasion de la COP 15 biodiversité en 2022, une coalition réunissant plus de 100 pays pousse et réussit à entériner l’adoption d’un objectif de 30% à horizon 2030.
Aujourd’hui, à l’heure des comptes, il existe près de 300 000 aires protégées établies ou proposées dans le monde, couvrant 16,3% des terres et 8,3% des mers.
Les aires protégées font parfois pire que mieux
Réserves naturelles intégrales, parcs nationaux, zones de gestion d’habitats ou d’espèces…Ces chiffres cachent une diversité de situations très différentes. L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) en distingue au moins six, avec des degrés de protection plus ou moins forts. Pourtant, les traités internationaux n’ont jamais précisé de quel type de protection, il s’agissait. “L'objectif est louable, mais c’est la façon dont les États vont s'en saisir pour le détourner et utiliser à leurs avantages qui peut poser problème”, délimite Hélène Soubelet, directrice de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB).
La France a par exemple déjà annoncé qu’elle avait réalisé haut la main l’objectif, en revendiquant la protection de 31,2% du territoire terrestre national et 33,6 % des espaces maritimes. En fonction des situations, il est néanmoins toujours possible de pêcher, chasser ou construire de nouvelles infrastructures dans ces espaces. La majorité des évaluations scientifiques montrent ainsi que les zones protégées ralentissent, mais n'arrêtent pas complètement, les pressions humaines à l'intérieur de leurs frontières. Par exemple, les pressions exercées par l'homme ont augmenté à l'intérieur de 55 % des zones protégées sur les terres entre 1993 et 2009. Dans le domaine marin, 94 % des zones protégées créées avant 2014 autorisent les activités de pêche.
Pire, la santé des écosystèmes se détériorait davantage dans les zones protégées qu’en dehors, selon une récente analyse du Musée d'histoire naturelle de Londres. À partir d’un indicateur de santé des écosystèmes (l'indice d'intégrité de la biodiversité, IIB), les chercheurs ont montré que dans les espaces critiques non protégés, la biodiversité avait diminué en moyenne de 1,9 point de pourcentage entre 2000 et 2020, contre 2,1 dans les zones protégées.
Les associations dénoncent une majorité “d’aires protégées en papier” - soit de belles annonces, sans réelles protections.
Et les communautés locales dans tout ça ?
Bien qu’ambitieux, l’objectif 30x30 se retrouve de plus en plus critiqué. “Le vrai sujet ce n'est pas le 30%, c'est où on fait ça ? Comment je détermine l'endroit et quel statut de protection, je mets ?”, indique Hélène Soubelet, qui insiste alors sur la question de la gouvernance de ces zones. Plus de 1,6 milliard de personnes issues de populations autochtones, de communautés locales et d'Afro-descendants vivent dans des zones importantes pour la conservation de la biodiversité. “Les couper de leurs terres pour créer des zones protégées n’aidera pas l’environnement”, alerte l’organisation Survival International, qui rappelle que ce sont “les meilleurs gardiens du monde naturel et un élément essentiel de la diversité humaine qui est une clé de la protection de la biodiversité.”
Plutôt qu’un pourcentage, les États devraient ainsi s’accorder sur la qualité des aires de protection à imposer. Dans ce sens, de nouveaux concepts émergent, comme les “other effective area-based conservation measures” (OECMs), qui reconnaissent aussi la protection des significations culturelles ou religieuses d’un lieu. “Pour moi, c'est la même chose, on va réfléchir à la cohabitation, mais c'est toujours un processus d'aires protégées”, considère Hélène Soubelet. L’ancienne membre du ministère de la Transition écologique rappelle ainsi que la cible de 30x30 ne doit pas agir comme une distraction dangereuse par rapport aux principales causes de la perte de biodiversité.