71 solutions pour faire face aux multi-crises environnementales
Biodiversité, eau, alimentation, santé et changement climatique ; pour la première fois la plateforme de connaissances des Nations Unies sur les services écosystémiques (IPBES) évalue les différentes crises environnementales ensemble et non pas séparément. Si le constat n'est pas beau à voir, les scientifiques ont identifié un large panel de solutions à mettre en place. On vous explique tout ce qu'il faut retenir de ce rapport.
“Nexus”. Non, ce n’est pas le titre du nouveau produit Google, mais celui du dernier rapport de l’équivalent du Giec sur la biodiversité, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES).
“Nexus” désigne les connexions et les points de contact entre différents domaines. C’est ce qu’ont voulu mettre en avant les auteurs de cette édition, en montrant les liens entre les enjeux de biodiversité, d'eau, d'alimentation, de santé et de changement climatique. Sous l’égide des Nations Unies, près de 165 experts ont réuni pendant trois ans le meilleur de la connaissance scientifique pour mettre en avant des solutions coordonnées.
Il n’a pourtant pas été facile pour les 147 États représentés de se mettre d’accord sur une version consensuelle de ce rapport. Les représentants auraient consacré beaucoup de temps à débattre de tous les aspects de l'évaluation, y compris son titre, rapporte le compte-rendu des séances. Après le travail des experts, le résumé à l’intention des décideurs, que nous vous résumons ici, est en effet négocié et adopté ligne par ligne par les pays membres de l’institution.
Nous faisons face à 5 grandes crises mondiales interconnectées
La biodiversité décline dans toutes les régions du monde, impactant l’équilibre des écosystèmes, la qualité de l’eau, l’apport en nourriture et la santé des espèces habitant la Terre (humains, animaux et plantes). Ce déséquilibre se propage en cascade dans toutes les sphères de la vie sur Terre (biodiversité, eau, alimentation, santé, et réchauffement climatique). Ces enjeux "sont indivisibles, liés et interdépendants. Comme ils sont intimement liés, quand l'un d'entre eux faiblit, les autres suivent”, a mis en garde Inger Andersen, directrice exécutive du Programme des Nations unies pour l'environnement.
Par exemple, la maladie parasitaire grave schistosomiase (également connue sous le nom de bilharziose) continue à réapparaître et à se propager, si on la traite seulement à l’aide de médicaments. Pourtant, si comme au Sénégal on met en place un plan de réduction de la pollution de l'eau, en éliminant les plantes aquatiques envahissantes afin de réduire l'habitat des escargots qui hébergent les vers parasites porteurs de la maladie, on observe une réduction de 32 % des infections chez les enfants, une amélioration de l'accès à l'eau douce et de nouveaux revenus pour les communautés locales. Un exemple des liens à établir dans la prise en compte de tous les enjeux mondiaux auxquels nous faisons face.
- La biodiversité : Sur les 30 à 50 dernières années, la biodiversité a décliné de 2 à 6% sur chaque décennie. 41% de la population mondiale habite une zone où le déclin de la biodiversité est particulièrement élevé. Au total, les trois quarts de la surface terrestre sont altérés par les activités humaines. Ces dégradations diminuent la diversité au sein des espèces animales et végétales et menacent d’extinction 25% d’entre elles.
- L’eau : Le déclin de la biodiversité marine et d’eau douce est beaucoup plus rapide que la biodiversité terrestre. Les activités humaines ont conduit à un prélèvement non durable de l’eau douce et ont dégradé trop de zones humides, ce qui a donc entraîné la diminution de la qualité de l’eau et le déséquilibre des écosystèmes marins et d’eau douce. Un déclin qui a des conséquences concrètes sur la sécurité de nombreuses populations. Alors qu'un tiers des espèces de coraux sont fortement menacés d’extinction, 1 milliard de personnes en dépendent pour se nourrir, se soigner, ou se protéger des intempéries.
- L’alimentation : L’augmentation du recours à l’agriculture intensive pour nourrir la planète entraîne l’érosion de la biodiversité, un épuisement de la ressource en eau, une augmentation de la pollution et une diminution de la qualité des éléments. Dans le monde, 42% de la population ne peut pas s'acheter de la nourriture saine. Un chiffre qui monte à 86% pour les pays où les revenus sont les plus faibles. La pollution des mers et de l’eau douce présente aussi des risques importants pour l’alimentation de millions de personnes dépendantes des ressources en poissons et crustacés.
- La santé : Si la production alimentaire mondiale a augmenté, permettant à des populations de sortir de la faim, près de 11 millions d’adultes meurent désormais chaque année d’une alimentation malsaine. Notre santé est par ailleurs directement liée à notre environnement. Aujourd'hui, la moitié des maladies infectieuses sont ainsi provoquées par les rejets de l’agriculture intensive et par les activités nuisibles aux habitats naturels.
- Le changement climatique : Le réchauffement de l’atmosphère impacte la production alimentaire, réduit les ressources en eau, affecte la santé à cause des vagues de chaleur et la propagation de maladies. 12 000 catastrophes naturelles se sont produites en 50 ans, causant la mort de 2 millions de personnes dans le monde. 90% de ces évènements extrêmes ont eu lieu dans les pays les moins développés, également les moins responsables de la crise climatique.
Qu’est ce qui provoque ces crises interconnectées ?
Ces grandes crises se cumulent et s'alimentent, entraînant de nombreux déséquilibres. Par exemple, la dégradation des forêts et des océans détériore leurs capacités à stocker du carbone, accélérant encore plus le réchauffement climatique. La perte de biodiversité réduit la quantité d’eau accessible sur Terre et sa qualité en augmentant le développement de pathogènes et de pollution. L’agriculture et la pêche intensive accélèrent l'érosion de la biodiversité et affectent en même temps la qualité de l’alimentation mondiale, compromettant la santé humaine.
De façon indirecte, les changements économiques, démographiques, culturels ou encore technologiques ont perturbé l’état des écosystèmes. La croissance démographique, la surconsommation et le nombre grandissant de déchets qui en découlent fragilisent la biodiversité, la qualité de l’eau et accélèrent le réchauffement climatique. De plus, la gouvernance actuelle fragmentée en silos aggrave les crises, en ignorant les liens entre ces enjeux.
Plus de la moitié du produit intérieur brut mondial - soit plus de 50 000 milliards de dollars d'activité économique annuelle dans le monde - dépend modérément ou fortement de la nature. Pourtant 7 trillions de dollars sont investis tous les ans dans des activités qui mettent en danger la biodiversité, aggravent le climat, perturbent les systèmes alimentaires et l’approvisionnement en eau.
Des impacts inégaux mais une réponse globale
Ces impacts sur la biodiversité et les autres éléments du Nexus sont inégalement répartis selon les pays, la classe sociale et les conditions de vie. Par exemple, la malnutrition due à la pauvreté et/ou à l’agriculture intensive et industrielle affecte davantage la santé des populations les moins aisées et aux conditions de vie les plus vulnérables. Ainsi, 80% des personnes mal nourries habitent dans les pays en voie de développement.
En cause, le système économique dominant, qui renforce les inégalités. Les pays les moins développés ont beaucoup moins de ressources pour se protéger des effets de la crise environnementale alors que ce sont ceux qui participent le moins à cette destruction.
Cette situation est renforcée par une mauvaise gouvernance politique. “Alors que plus aucun milieu n’échappe à l’influence humaine, nous continuons de raisonner de façon cloisonnée, en nommant par exemple des ministères bien distincts sur la santé, l’environnement ou l’alimentation”, indique Patrick Giraudoux, l'un des auteurs principalux du rapport. Selon lui, il faut alors d’abord implémenter un changement de politique au niveau local pour mettre en place cette vision combinée des pressions au plus proche du terrain. Sans attendre les États, des villes européennes se coordonnent par exemple déjà pour introduire une vision coordonnée de la santé et des enjeux de biodiversité en suivant le concept d’une seule santé (“One Health”).
Quels sont les scénarios qui s'offrent à nous ?
Le constat est amer, mais pour ne pas en rester là, les scientifiques ont cherché à analyser dans quelles directions nous allons. Et ils n'ont pas fait semblant. Pas moins de 186 scénarios différents issus de 52 études distinctes ont été analysés. Toutes ces projections prévoient des interactions entre trois ou plus des thématiques du rapport Nexus, sur des périodes allant jusqu'à 2050 et 2100.
Pour y voir plus clair, les auteurs ont trié ces scénarios en fonction des priorités poursuivies. Il y a le scénario qui place la lutte contre le changement climatique avant toute chose, celui qui insiste sur la conservation des espaces, ou encore un autre qui considère la production de nourriture comme une priorité.
Le rapport coupe néanmoins tout de suite le suspense : il n'existe pas de scénario totalement idéal. "Aucun des scénarios ne maximise les avantages pour tous les éléments du nexus, à toutes les échelles et dans tous les contextes", insistent les auteurs de l'IPBES.Mais certains scénarios sont quand même bien meilleurs que d'autres. En général, plutôt que de se focaliser sur un objectif, comme la santé par exemple, mieux vaut combiner des avantages équilibrés pour tous les défis identifiés. Combiner la sauvegarde de la biodiversité avec des actions qui profitent à d'autres éléments du Nexus permettrait également d'atteindre au mieux les objectifs de durabilité et ainsi éviter de nombreux risques financiers et systémiques futurs.
Ainsi, les scénarios fondés sur la protection de la nature et qui prennent encompte plusieurs crises sortent du lot. Grâce à la mise en place d'aires protégées, de mesures environnementales ambitieuses, de pratiques agricoles durables et d'une réduction de la consommation mondiale par habitant, ces alternatives cochent de nombreuses cases. Elles offrent des résultats positifs à long terme pour l'assainissement de l'eau (en permettant par exemple une meilleure filtration), à la production alimentaire (via la pollinisation par exemple), à la formation et à l'entretien des sols, à la santé humaine et la qualité de vie (via la qualité de l'air), à l'adaptation au changement climatique et l'atténuation de ses effets (via le piégeage naturel du carbone) et ses impacts (en atténuant par exemple les inondations). . En revanche, le fait de se concentrer exclusivement sur le changement climatique peut avoir des conséquences négatives sur la biodiversité et l'alimentation. L'installation de panneaux solaires ou d'éoliennes sur des zones naturelles ou agricoles pourrait par exemple entraîner une concurrence pour l'acquisition de terres.
Selon les scientifiques, la planification inclusive et intégrée des mesures d'adaptation pourrait aider à éviter ces maladaptations. Que ce soit pour protéger la biodiversité ou combattre le réchauffement climatique, les solutions peuvent par exemple, sans le vouloir, limiter les moyens de subsistance des peuples autochtones et des communautés locales. Les intégrer aux processus de décisions permettrait de pallier ces limites. Mais les scénarios évaluent rarement les implications pour la pauvreté et l'inégalité, ce qui représente une importante lacune dans les connaissances, note le rapport.
Au rang des mauvais élèves, on retrouve les scénarios qui mettent en avant la seule production alimentaire (qui provoque notamment des résultats négatifs pour la biodiversité et le changement climatique) ou celui fondé sur la surconsommation des ressources naturelles, caractérisé par une demande importante de combustibles fossiles, et par de faibles réglementations environnementales. Cela ne vous dit rien ? Oui en effet, il s'agit des scénarios reltifs au statu quo, autrement dt, les situations que l'on risque de connaître si nous continuons sur la même trajectoire.
Et le coût de l'inaction se chiffre en milliards de dollars, selon le rapport. Le report à 2030 de la réalisation des objectifs politiques en matière de biodiversité pourrait doubler les coûts des mesures à mettre en place, tout en augmentant la probabilité de pertes irremplaçables telles que l'extinction d'espèces. De même, le fait de retarder l'action pour atteindre les objectifs climatiques pourrait augmenter les coûts d'adaptation et d'atténuation d'un minimum d'environ 500 milliards de dollars par an.
71 solutions concrètes pour éviter le pire
Il faut donc agir vite, selon les auteurs de l'IPBES, qui ont identifié pas moins de 71 solutions pour gérer durablement la biodiversité, l'eau, l'alimentation, la santé et le changement climatique. Elles ont été classées en 10 grandes catégories dans lesquelles, les États, entreprises et citoyens peuvent venir piocher pour adopter les meilleures pratiques. Certaines réponses peuvent ne pas être appropriées pour tous les pays, mettent néanmoins en garde les auteurs.
- Conserver la nature
Pour conserver la nature, il est possible de créer des réserves naturelles publiques et privées, des parcs nationaux et de mettre en place des mesures de conservation de l'environnement. De nombreux exemples mis en place dans différentes parties du monde montrent que ces solutions ont tendance à fonctionner, si elles garantissent la participation pleine et effective des peuples autochtones et des communautés locales aux processus de décision. Par exemple, des aires marines protégées au Chili et en Australie ont permis à renforcer la biodiversité, tout en offrant davantage de poissons pour la consommation humaine et une amélioration des revenus pour les communautés locales, notamment via le tourisme.
- Restaurer les écosystèmes
C'est la solution qui a tendance à cocher toutes les cases. La restauration des mangroves au Sénégal a par exemple permis de mieux stocker le carbone, d'améliorer la biodiversité, de réduire l'érosion côtière et d'améliorer la qualité de l'eau.
- Mieux gérer les écosystèmes
L'idée est de moins surexploiter les milieux naturels. Et l'une des principales clés est l'agriculture. L'agroécologie est alors présentée comme une façon de changer notre façon de produire tout en garantissant un accès équitable à la terre, en s'appuyant à la fois sur les connaissances scientifiques, autochtones et locales.
- Adopter une consommation durable
Cela passe principalement par l'adoption de régimes alimentaires sains et durables, ainsi que par la réduction du gaspillage alimentaire. Des solutions qui permettent de bénéficier à la sécurité alimentaire, à la santé, à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et pourraient libérer des terres pour la conservation de la biodiversité et les puits de carbone. La protection de la diversité et de la disponibilité des plantes médicinales peut également favoriser leur consommation durable, note le rapport.
- Réduire la pollution
Pour le climat, la biodiversité, la santé et la qualité de l'eau, faire baisser nos émissions toxiques paraît primordial. L'IPBES conseille de passer par la mise en place de réglementations et d'incitations, notamment pour réduire l'utilisation des pesticides et mieux gérer les déchets.
- Mieux coopérer au niveau local et international
La mise en place d’une gouvernance partagée et qui inclut le plus de parties prenantes est une solution structurante pour mieux répondre aux crises environnementales. Par exemple, la coopération transfrontalière dans le domaine de l'eau facilite la gestion à l'échelle d’un bassin, comme c’est le cas pour le fleuve Mékong, en Asie du Sud-Est qui fait collaborer plusieurs pays comme la Thaïlande ou le Vietnam autour d’une même politique de gestion de l’eau.
- Mieux s’adapter aux risques
Face à la multiplication des risques naturelles, notamment climatiques, les solutions fondées sur la nature peuvent être de bons outils d’adaptation en remplissant plusieurs objectifs. La mise en place d’îlots de fraîcheur en ville peut par exemple permettre d’améliorer la qualité et la disponibilité de l'eau, réduire la pollution atmosphérique, les allergènes et le risque de maladies zoonotiques, tout en garantissant une meilleure adaptation au réchauffement climatique.
- Promouvoir les droits et l'égalité
Cela passe par la reconnaissance des droits à la santé, à l'alimentation, à l'eau, à la terre et à un environnement propre, sain et durable et par la mise en place de mesures concrètes comme la mise en place d’une couverture maladie universelle ou le déploiement de pratiques agroécologiques, socialement justes et participants à l’égalité des genres.
- Mieux orienter les ressources économiques et financières
Que ce soit en taxant mieux certains domaines (comme l’eau par exemple) ou en mettant en place des solutions de financement (comme les microcrédits qui permettent d’investir pour des projets agroécologiques), il est nécessaire d’éliminer, de supprimer progressivement ou de réformer les subventions qui portent atteinte aux éléments du nexus.
- Combiner les différentes solutions
“La mise en œuvre combinée ou séquentielle des options de réponse peut renforcer les avantages, car certaines options de réponse permettent à d'autres d’amplifier leurs effets”, suggère le rapport. Il cite alors la ville de Paris en exemple. Celle-ci a mis en place une stratégie alimentaire durable, qui permet à la fois de combattre la mauvaise alimentation, de réduire la pollution des sols, notamment en réduisant l’utilisation de pesticides, d’assainir l’eau, d’enrichir la biodiversité et de combattre le réchauffement climatique.
Ce nouveau rapport inédit permet donc de prendre en compte les défis qui nous attendent sur les différents fronts de l'environnement, de la santé et de la justice sociale et nous donne de nombreuses pistes à creuser et mettre en avant. Pour aller plus loin et découvrir l'ensemble des solutions proposées, vous trouverez le résumé du rapport (en anglais) à cette adresse.