Agriculture et biodiversité, le rendez-vous manqué ?
Les députés ont approuvé mardi 28 mai la loi d’orientation agricole attendue depuis plusieurs années. Au programme, d’importants reculs sur le droit de l’environnement, qui opposent artificiellement agriculture et protection de la biodiversité.
"Dernière sommation". Dimanche soir, des agriculteurs de la Coordination rurale du Gers ont une nouvelle fois tagué les locaux de l'Office national de la biodiversité (OFB) pour la menacer. Si la police de l’environnement ne met pas fin aux contrôles jugés "abusifs" des exploitations et ne supprime pas le port d'arme des agents, le syndicat agricole promet de “réaliser une action qui sera d’un tout autre genre”. La nuit d'avant, les députés achevaient l’examen de la loi d'orientation agricole (LOA), en accédant à plusieurs assouplissements d’obligations environnementales.
Cinq mois après le début des manifestations d’agriculteurs pour demander de meilleures conditions, la préservation de la biodiversité se retrouve toujours sur le banc des accusés. L’expertise scientifique ne cesse de rappeler qu’il s’agit pourtant d’un précieux allié et d’un élément déterminant pour préserver notre modèle alimentaire.
Une occasion ratée
Qui aurait pu prédire ? En 2022, Emmanuel Macron promet une grande loi d’orientation majeure sur l'agriculture, tout en assurant que son quinquennat “sera écologique ou ne sera pas”. Alors que la dernière législation organisant la politique agricole française remonte à une dizaine d’années, la nouvelle version devait enfin prendre à bras-le-corps le défi du renouvellement des générations.
Des reports en cascade et une crise agricole incontournable plus tard, le projet de loi adopté par les députés mardi 28 mai est finalement assez pauvre. Tout juste, le texte fixe un objectif de maintenir stable le nombre de fermes d’ici à 2035 - soit environ 400 000 - alors que près de la moitié des agriculteurs seront en âge de partir à la retraite d'ici dix ans.
À la place de mesures fortes, le gouvernement a préféré saucissonner les ambitions pour mieux les faire adopter dans différents textes, et introduire des principes plutôt que des mesures concrètes pour éviter les risques. L’agriculture, la pêche et l’aquaculture sont ainsi reconnus d’intérêt général en tant qu’elles garantissent la souveraineté alimentaire de la Nation. “C'est le moment où on aurait pu écologiser la politique agricole et préparer l’avenir, mais l’occasion est ratée”, déplore Marion Vigneau, qui a suivi pendant cinq mois les négociations avec le ministère pour le compte du collectif Nourrir, engagé dans la transition agricole. “On se retrouve avec un patchwork de mesures incohérentes, comme l’incitation pour les éleveurs à recourir aux chiens de protection des troupeaux, alors que le sujet n’a jamais été abordé dans les concertations nationales”. Et si l’agroécologie est bien citée une quinzaine de fois dans le texte, elle n’est clairement pas érigée en priorité.
Un recul environnemental inquiétant
Au contraire, les associations de défense de l’environnement voient dans ce texte, “un renoncement extrêmement grave aux objectifs de préservation et de restauration de la biodiversité que la France s’est fixée”. En cause, l’adoption in extremis de l’article 13 qui introduit un droit à l’erreur, pour les agriculteurs qui porteraient atteintes aux espaces ou aux espèces protégées.
Cette présomption de “bonne foi” est même automatique pour les mesures légales, comme l’abattage d’arbres pour raisons sanitaires par exemple. Si le texte est validé, un exploitant qui ferait disparaitre des arbres touchés les scolytes - de petits insectes qui s’attaquent aux troncs - ne pourraient pas être poursuivi, quand bien même le bois abriterait des nids d’espèces protégées.
Une inversion de la charge de la preuve inédite, selon le juriste spécialiste en droit de l’environnement Arnaud Gossement, interrogé par Le Monde. Par ailleurs, et pour ne pas créer une inégalité des citoyens devant la loi, la disposition ne mentionne pas spécifiquement les agriculteurs. Selon les ONG, elle pourrait donc aussi bien s’appliquer aux exploitants forestiers, aux activités de chasse, aux promoteurs immobiliers…
Simplification à fond
Simplifier la construction, c’est également l’objectif du gouvernement en écourtant les procédures de recours contre certains projets agricoles ou en permettant de passer par ordonnance pour des installations en aquaculture. Une mesure qui pourrait bénéficier davantage aux grands exploitants, comme pour les projets de mégabassines. Quant à la préservation des haies, érigée en axe principal de la stratégie nationale biodiversité, elle devrait aussi être assouplie. L'arrachage de linéaire végétal devra toujours faire l'objet d'une demande auprès des autorités, mais l'absence de réponse dans un délai fixé par décret vaudra autorisation. Par ailleurs, les sanctions en cas de non-respect seront en plus allégées.
Cerise sur le gâteau pour l’environnement, les objectifs de cultures en bio ont bien failli disparaître. Souhaitant d’abord les supprimer totalement, le gouvernement a fini par rétropédaler devant le tollé. Il fixe désormais comme objectif d’atteindre 21 % de surface agricole utile en bio et 10 % en légumineuses d’ici à 2030. Bien que gravé dans le texte, cette ambition ne figure plus dans le Code rural comme c’était le cas avant.
“Ça ne dupe personne”, réagit auprès de La Corneille Laurence Marandola, porte-parole du syndicat la Confédération paysanne. “Comme le gouvernement n’a pas réussi à atteindre ses objectifs, il les fait disparaître”, considère-t-elle, en rappelant que la dernière cible de 15 % de bio en 2022 n’a pas été atteinte.
Alors que le texte doit maintenant être validé par le Sénat, son sort reste incertain. Le syndicat agricole majoritaire, la FNSEA, approuve ses éléments, mais se dit confiant pour trouver auprès des Sénateurs “un écho favorable à ses demandes pour aller plus loin”. La majorité de droite à la chambre basse avait en effet déjà adopté en 2023 des dispositions en faveur de la "ferme France", à l’encontre de la préservation de l’environnement. Pour le collectif Nourrir, “ces réponses de court terme mettent gravement en danger la résilience des écosystèmes et ainsi la santé économique des agriculteurs”.
Pour en savoir plus, La Corneille vous propose de découvrir sa série inédite sur les conséquences de l'utilisation des pesticides sur la biodiversité. À cette occasion, dix scientifiques se font les messagers d’une espèce à travers une lettre imaginée en provenance du front.
Image d'illustration : "Le Département & vous" avec les maraichers de la plaine de Montesson © Nicolas DUPREY/ CD 78 - Flickr