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Les aires marines protégées : repères de la pêche intensive

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Les aires marines protégées : repères de la pêche intensive
La Corneille
26/3/2024

La France se rêve en championne de la protection de l’océan en affirmant avoir sanctuarisé plus de 30 % des aires marines. Celles-ci restent pourtant le repère privilégié des gros chalutiers, selon l’ONG Bloom qui les a évaluées. Au-delà des belles images de protection, La Corneille vous emmène voir ce que subissent les poissons.

Fermez les yeux et imaginez une aire marine protégée. Que voyez-vous ? Des poissons par centaines, des herbiers marins, des coraux ? Non, pour l'ONG Bloom, ces espaces sont plutôt des “repères de méga-chalutiers”. Dans ces zones, le nombre d’heures de pêche industrielle par kilomètre carré est 1,4 supérieure aux zones marines non protégée.

L’étude publiée ce 26 mars par l’association de défense des milieux marins révèle qu'en 2023, la pêche intensive au chalut était présente dans plus de 60 % de la surface des aires marines protégées (AMP) en Europe.

Mais alors, quand les États promettent la main sur le cœur de protéger 30 % des aires marine d’ici 2030, ça veut dire quoi ? “Pas grand-chose”, répond franchement Sophie Gambardella, chercheuse au CNRS, pour le département droits international, comparé et européen (DICE). “Déclarer des zones protégées, c’est très facile et on est d’ailleurs très fort pour ça”. Depuis février 2022, le gouvernement se félicite ainsi d’avoir dépassé l’objectif fixé par la COP15 biodiversité en déclarant que 33 % des eaux françaises sont déjà couvertes par au moins une aire marine protégée.

La France a l’aire marine "protégée" la plus chalutée

En pratique, il s’agit surtout d’aires protégées “papier”, selon Bloom, qui a croisé les observations de pêche de la plateforme Global Fishing Watch avec les données cartographiques du Programme des Nations unies pour l’environnement sur les 6 783 aires protégées européennes.

Résultat, près d’un quart du chalutage en Europe se déroule à l’intérieur des zones considérées comme protégées, ce qui correspond exactement à la surface de l’espace maritime européen couvert par les AMP (788 739 de km²). “En d’autres termes, l’existence des aires marines protégées n’exerce aucune influence sur l’effort de pêche au chalut”, conclut le rapport.

“Le constat n’est pas vraiment nouveau”, réagit auprès de La Corneille, Sophie Gambardella. “Protéger une aire marine, ce n’est pas mettre la nature sous cloche, les activités continuent”, explique-t-elle, en insistant tout de même sur la nécessité de cette étude pour documenter la situation et la faire connaître au grand public.

Bien loin des annonces ambitieuses du gouvernement, on apprend ainsi que la France occupe la deuxième place du podium des pires pays européens en matière de chalutage en zones protégées. Avec l’Espagne et l’Italie, qui complètent le triste palmarès, ils concentrent à eux seuls 69 % de l’effort de pêche au chalut dans les AMP. Malgré cela, la France continue de s’ériger en modèle de la protection des mers, notamment via l’organisation du sommet mondial de l’ONU sur l’océan prévu en 2025 à Nice.

Un désastre pour l’environnement

Pire, la France détiendrait le record européen d’heures de pêche au chalut dans une zone marine protégée. Ça se passe dans le golfe de Gascogne, avec près de 201 908 heures de pêches intensives comptabilisées en 2023, soit 1,4 fois plus que la deuxième aire protégée la plus chalutée.

Concrètement, des gros navires de près de 100 mètres de long filtrent l’océan à l’aide d’énormes filets, qui capturent de nombreuses espèces sans distinction. La technique abîme des habitats marins, la plupart des prises rejetées ne survivront pas. met en suspension des molécules dans l’eau et émettrait autant de CO2 que le transport aérien au niveau mondial. Après le passage de tels engins, la faune marine a souvent besoin de plusieurs années pour se régénérer.

Dans la zone Natura 2000 du golfe de Gascogne, le chalutage risque ainsi, selon Bloom, “d’endommager les habitats dont dépendent les proies des oiseaux pour lesquels l’AMP a été créée, de surpêcher ces proies et donc d’épuiser la nourriture de ces oiseaux ou encore de capturer ces espèces accidentellement à travers les « prises accessoires ».”

En bref, ces engins de pêche “constituent à l’échelle mondiale la source anthropique la plus répandue de perturbation directe de l’écosystème des fonds marins”, d’après une analyse des données existantes en 2018.

Des aires protégées sans chalut, c’est possible ?

Alors qu’est-ce qu’on attend pour interdire les chaluts ? “On va mettre la lumière là où ça ne fonctionne pas, mais ça avance quand même un peu”, répond Sophie Gambardella, en citant les premières interdictions de chalut au-delà des 1 000 mètres de profondeur en Méditerranée, de 800 mètres dans l'Atlantique et de 400 mètres dernièrement dans 87 zones de l'Atlantique nord-est, considérées comme sensibles du fait de la présence de coraux de grands fonds et d'éponges. Oui, mais bizarrement, ces mesures ne concernent pas les zones marines protégées. Et ne semblent aujourd’hui pas prêtes à le devenir.

Le 18 janvier dernier, le Parlement européen a en effet rejeté le plan d’action pour la préservation des écosystèmes marins proposée par la Commission. Celui-ci prévoyait justement la fin du chalutage dans les aires marines protégées d’ici à 2030. “Le secteur de la pêche est trop puissant”, analyse Sophie Gambardella, en mettant en avantle poids important de la pêche dans le PIB français. Selon elle, la solution ne peut donc venir qu’en associant les pêcheurs aux gouvernances des zones protégées. Certaines études démontrent notamment que des pêcheries au chalut de fond bien réglementées peuvent aussi permettre d’éviter la surpêche, en mettant en place une gestion des stocks.

Techniques sélectives, quotas, nombre réduit de navires… Toute une gamme de mesures existe déjà, mais cohabite de façon inégale avec une dizaine de modèles juridiques différents d’aires marines protégées.

Le défi reste alors le changement de mentalité, pour notamment “arrêter de calquer le modèle de protection terrestre à celui de la mer”, appelle Sophie Gambardella, en rappelant que les protections ne concernent que la colonne d’eau et non le sol ou le sous-sol marin. Une prise de conscience à laquelle le rapport de Bloom ajoute une nouvelle pierre.

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