Théodore Rousseau : la voix de la forêt
Envie d’un ciné, de bouquiner ou d’aller au musée ? Chaque mois, La Corneille vous présente une actualité culturelle en lien avec le vivant. Ce mois-ci, direction le Petit palais, musée des beaux-arts de la ville de Paris, pour découvrir la jolie exposition “Théodore Rousseau La Voix de la forêt”.
Exposées dans les plus grands musées français et européens, les œuvres du peintre Théodore Rousseau (1812-1867) demeurent souvent discrètes. Au fil d’un parcours jalonné par une centaine d’œuvres, l’exposition met un coup de projecteur sur cet artiste avant-gardiste tombé quelque peu dans l’oubli.
Théodore Rousseau le refusé
L’exposition nous brosse le portrait d’un peintre rebelle et épris de liberté. À la peinture académique qui fait de la nature un simple décor, il préfère les paysagistes hollandais du XVIIe siècle chez qui la nature existe pour elle-même. Théodore Rousseau refuse ainsi de passer le concours du Prix de Rome, qui lui permettrait de poursuivre sa formation artistique en Italie, et préfère sillonner la campagne française.
Le peintre renouvelle non seulement le sujet des tableaux, mais également leur forme. Adieu perspective, toiles achevées, et peintures lissées… Chez Rousseau, esquisses et couches de peinture s’entremêlent. Une peinture affranchie des conventions et qui ouvre la voie à la modernité, au point de devenir le “grand refusé” du Salon de peinture et de sculpture de Paris.
Un peintre qui donne voix au vivant…
“Si je parviens, par l’assimilation de l’air et de la lumière, à donner la vie générique à ce monde de la végétation, alors vous y entendrez les arbres gémir.”Théodore Rousseau, cité par Alfred Sensier en 1872
Installé à Barbizon en 1847, un village adossé à la forêt de Fontainebleau, Rousseau passe des heures à l’extérieur pour peindre la nature qui l’entoure. Donner vie aux sous-bois, aux mares et aux rochers sur ses toiles, occupe ses journées. Avec une grande diversité de techniques picturales, des touches de peinture tantôt empâtées, diluées, hachées ou floutées, il parvient à saisir la beauté et la fragilité du règne végétal.
Les arbres occupent une place toute particulière dans son œuvre. Dans ses tableaux, les humains sont relayés au second plan, voir y sont complétement absents, tandis que les arbres font l’objet de véritables portraits. Chênes et hêtres centenaires s’y déploient avec majesté après leur étude minutieuse par l’artiste. Dans son tableau Groupe de chênes, Rousseau va même jusqu’à effacer des éléments du paysage pour mieux mettre en valeur les arbres.
La passion du peintre pour les “portraits d’arbres” se concrétise aussi sur des clichés sous-verre, un procédé à la croisée de la photographie, du dessin et de la gravure. L’exposition présente ainsi le tirage d’un cerisier.
D’artiste à défenseur de la forêt
“Permettez-moi de venir au nom de l’art vous demander justice contre des faits qui, depuis 30 ans attristent profondément les artistes. Je veux parler des dévastations qui se commettent par l’administration elle-même dans la forêt de Fontainebleau.”Théodore Rousseau et Alfred Sensier, lettre adressée au comte Morny, Paris, musée du Louvre.
La passion de Rousseau pour la forêt de Fontainebleau le pousse aussi à s’engager pour sa défense. Ses tableaux se font l’écho de son engagement “écolo” comme dans Le Massacre des Innocents, où l’artiste compare l’abattage de chênes à l’assassinat d’enfants présent dans la Bible. Enfin, grâce à sa plume, Rousseau contribue à la protection de cet espace forestier. En 1853, après avoir envoyé une lettre au ministre de l’Intérieur, le duc de Morny, Rousseau et ses amis artistes qui l’ont rejoint pour vivre à Barbizon, obtiennent une première victoire : 624 hectares sont exemptés de coupes réglementaires. Puis en 1861, la première zone naturelle protégée au monde voit le jour. Une réserve “à destination artistique” soustraite “de tout aménagement” composée de 542 hectares de boisements et de 555 hectares de rochers.
"Théodore Rousseau : La Voix de la forêt", une exposition temporaire au Petit Palais à Paris, du 5 mars au 7 juillet 2024, entre 10 et 12 euros
Pour prolonger la visite, quelques ressources :
- L’École de Barbizon et le paysage français au XIXe siècle, Jean Bouret, Ides et Calendes, 1972.
- Des arbres à défendre - George Sand et Théodore Rousseau en lutte pour la forêt de Fontainebleau (1830 - 1880), Patrick Scheyder, Humensis, 2022.
- Apprendre à voir : le point de vue du vivant, Estelle Zhong Mengual, Actes Sud, 2021.
- "George Sand, lanceuse d'alerte écolo et sauveuse de Fontainebleau” - Podcast France Culture, 2021.
Image d'illustration de l'article : Théodore Rousseau, L’Allée de châtaigniers 1825-1850, huile sur toile, 79×144 cm. Musée du Louvre, Paris. © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Franck Raux