“L’oiseau en cage raconte l’humain privé de liberté”
Pour une dernière veillée surprise le 2 juillet, La Corneille a exploré le thème des oiseaux comme symboles de liberté. En compagnie de la journaliste et écrivaine Seham Boutata, de l’anthropologue Frédéric Keck, du disquaire Dizonord, de la créatrice de masques Donadoni et de la comédienne Marine Giraudet nous avons vécu un moment riche en découvertes. Récit.
Qui n’a pas envie de s’envoler comme un oiseau pour profiter de la liberté ? En ce début d’été gris à Paris, La Corneille a convoqué la figure des volatiles pour creuser leurs liens à la liberté et aux mouvements d’émancipation. Dans la cour de Creatis, lieu dédié à l’accompagnement des médias et des structures émergentes dans le milieu culturel, la soirée a commencé avec une performance inédite. Coiffée d’un grand masque réalisé à partir de branches, mousses et éléments naturels, Donadoni Masques a déambulé au rythme des mots de Marine Giraudet, fondatrice de la compagnie de théâtre Arborescent.e.s. Un dialogue poétique entre arbres et oiseaux sur les méfaits des humains sur la nature.
Les oiseaux, la journaliste Seham Boutata n’y prenait pas non plus garde avant qu’elle ne réalise en 2017 un documentaire sur la psychanalyse en Algérie, où elle découvre l’omniprésence du chardonneret dans les foyers. “C’est très difficile de parler de psychologie dans le pays, mais quand on évoquait le chardonneret, les langues se déliaient.” Ce petit oiseau tient compagnie à de nombreux Algériens. Le pays en compterait un peu plus de 6 millions pour 20 millions d’habitants, dont 5% seulement seraient en liberté ! Plus que l’ampleur du phénomène, c’est la tendresse que leur apporte ceux qui les détiennent - majoritairement de hommes - qui a surpris Seham Boutata.
“L’attention portée à cet oiseau est contradictoire avec l’image de l’Algérien très macho, cela relève d’une véritable passion.” À partir du chardonneret, c’est toutes les évolutions de la société algérienne que l’on peut observer. Du manque de loisirs, à la période marquée par la guerre civile, “l’oiseau en cage raconte l’histoire de l’algérien en mal de liberté, qui a les ailes coupées”.
Acheter des oiseaux pour leur rendre la liberté ?
A l’autre bout du monde, en Asie, on achète aussi des oiseaux en cage mais pour les libérer, raconte ensuite l’anthropologue Frédéric Keck. “Du petit moineau acheté 1 ou 2€ par des ouvriers, aux alouettes de Mongolie commandées en nombre par des plus riches pour marquer le coup, à Hong-Kong, la population a l’habitude de lâcher des oiseaux pour se distinguer”. Aux origines de cette pratique, une volonté aristocratique de récompenser l’animal pour la beauté de son chant, en lui offrant la liberté.
Pour le chercheur, le lien des humains aux oiseaux est ainsi un excellent terrain de recherche pour comprendre nos sociétés. “Les oiseaux sont souvent utilisés comme des sentinelles, pour alerter ou faire passer des messages.” En 1997, Hong-Kong passe sous autorité chinoise. Pour comprendre la situation, Frédéric Keck décide, lui, de s’intéresser à l’abattage des poulets mis en avant par les autorités et les médias pour contrer l’épidémie de la grippe aviaire. “Alors que l’on s’inquiète de voir l’armée chinoise arriver, le pouvoir exerce par cet abattage une manifestation de son pouvoir, pour selon le proverbe chinois “tuer le coq pour effrayer le singe”.
Dj set aux sons des oiseaux
Donner la parole aux oiseaux et à la nature pour dénicher des messages oubliés, c’est aussi la volonté de Dizonord, un disquaire parisien, qui a clôturé la soirée en musique. “Comme les disques d’accordéons dans les brocantes, on s’est rendu compte que plus personne ne prêtait attention aux vinyles d’enregistrements de la nature”, explique le Dj.
Pour les remettre en valeur, lui et son équipe ont acheté la collection de Jean-Claude Roché, un bio-acousticien qui a enregistré le son des oiseaux du monde entier sur près de 300 disques. En mixant ces chants captés dans les années 1980-1990, Dizonord questionne notre rapport à la nature et vient donner une autre dimension à cette part du monde que l’on ne prend plus le temps d’écouter.