Avec "Éloge de la forêt", l'écologie se donne en spectacle
Envie d’un ciné, de bouquiner ou d’aller au musée ? Chaque mois, La Corneille vous présente une actualité culturelle en lien avec le vivant. Ce mois-ci, nous sommes allés voir le nouveau spectacle de Patrick Scheyder “Éloge de la forêt”. Une bonne occasion d’amener votre oncle climato-sceptique à se questionner par le divertissement.
Vous voulez la recette d’une expérience percutante, accessible à tous et symbolisant l’engagement ? Réunissez un pianiste féru de nature, un danseur-acrobate, un compositeur reconnu, un arboriste-grimpeur militant, un rappeur poétique et une comédienne-artiste pour faire un éloge de la forêt : vous obtiendrez des étincelles.
Un héritage “écoromantique”
Plutôt que d’assommer le public de paroles moralisatrices ou anxiogènes, Patrick Scheyder - à l’origine de ce show - a fait le choix d’un conte écologiste. Dans la lignée de Georges Sand et Théodore Rousseau, il mêle engagement politique et poétique et nous propulse d’une scène à l’autre pour nous faire vivre joie, tristesse et stupéfaction.
“Ce qu'on veut faire, c'est une sorte de mille et une nuits écologiques.” Patrick Scheyder pour la Corneille
Thomas Brail l’arboriste-grimpeur qui s’est tant battu contre la réalisation du projet A69 se retrouve directeur du cabinet de Christophe Bechu au ministère de la Transition écologique et de la cohésion des territoires. Dans cet univers alternatif, le militant a réussi à convaincre le ministre de monter dans un arbre pour le sauver du projet autoroutier. Entre deux blagues sur le gouvernement, le voltigeur nous montre que l’engagement peut se faire sous différentes formes et pas seulement dans les manifestations sur le terrain. Son intervention pleine d’émotions se conclut sur la lecture d’une lettre adressée à son fils, symbolisant l'héritage de cette lutte pour les générations futures.
Musique, lumière et nature : une symbiose parfaite
Le spectacle est accompagné d’une bande sonore organique, composée spécifiquement pour "Éloge de la Forêt" par IMan le compositeur du célèbre rappeur Damso. Cette musique, douce et frénétique à la fois, enveloppe les spectateurs, les transportant au cœur des forêts emplies de vie, et amplifiant les émotions délivrées tout au long de la pièce.
Les jeux de lumière et le mapping projetés sur la façade de l’académie du climat attirent les passants et les embarquent dans l’univers propre au spectacle. Ainsi, les images s’enchaînent en passant d’extraits de discours politiques à des reportages animaliers. Des flashs lumineux accompagnent les bruits du tonnerre qui gronde au-dessus de cette figure politique (incarnée avec passion par Emma Varich) qui se veut rassurante et en maitrise de la situation. Cette dernière, de plus en plus exhubérante et dépassée par les évènements, se fait rattraper par le dérèglement climatique doit faire face aux conséquences de sa politique techno-solutionniste.
Engagements modernes et défis actuels
Dans un climat de tension entre agriculteurs, société civile et gouvernement, le show n’oublie pas de rappeler que la destruction des arbres et la bétonisation des sols se fait également au détriment des agriculteurs. Pour l’illustrer, un agriculteur danse avec une bétonnière, symbole du grignotage des champs par le béton. D’abord amusante, le danseur virevolte, tourne, sourit ; la prestation devient rapidement troublante et inquiétante lorsque l’harmonie se transforme en chaos au point où l’agriculteur se fait avaler par la bétonnière. L’acrobate Yannis Gilbert qui interprète l’homme en détresse, y perd alors ses vêtements, ses espoirs et même son argent.
Il sera par ailleurs ramassé par la femme politique venue récolter les fruits de ses décisions. Les plus radicaux y verront ici la dénonciation des politiques qui profitent de la détresse des agriculteurs pour faire du profit. Alors que tout espoir semble perdu, le slammeur Lémofil apparait sur scène, symbole de l’engagement collectif et relève l’agriculteur laissé au sol.
Entre rêve et réalité
Le rêve est omniprésent dans la pièce, puisqu’il apparait dès les mots d’introduction de Patrick Scheyder et est ensuite reprit par les artistes.
“En écologie, c'est bien que l'on rêve” - Patrick Scheyder
C’est d’ailleurs tout l’intérêt de ce show, nous faire réfléchir sur les imaginaires désirables pour notre futur et celui de tous les vivants (humain et non humain).
Le personnage de Thomas Brail, figure emblématique des luttes actuelles pour l’environnement est l’exemple parfait de cette dualité, à la solde du gouvernement mais également activiste pour la survie des arbres, il oscille sur scène entre fiction et réalité.
La pièce alterne entre des extraits de ses actions réelles sur le terrain en Guyane ou sur le glyphosate et ses échanges fictifs avec un ministre de l’Environnement crédule.
“Mais on a le droit de rêver non ?" - Thomas Brail
La représentation nous rappelle alors que, bien que “l'anticipation ne soit pas toujours le point fort“ de l’être humain, il est crucial de rêver et d'agir pour un futur durable.
Un final qui rassemble
Le spectacle ne se contente pas de raconter des histoires ou d’effrayer par l’urgence de la situation ; il apporte une nouvelle perspective sur l’écologie. Une écologie séduisante faisant partie de la vie courante et impliquant tout le monde.
“Il faut que l'écologie se banalise, il faut qu'on puisse rire avec, la détester… mobiliser toute la gamme des sentiments.” Patrick Scheyder à la Corneille
En utilisant l’angle du conte, l’œuvre touche un public large, enfants et parents, fervents défenseurs de l’écologie et passants néophytes, tous peuvent se reconnaitre et se retrouver dans cette œuvre.
Une chanson résonne pour clôturer la représentation et inciter les observateurs à l’action collective : "Le jour d'espoir est arrivé". Interprétée avec brio et émotion par Lémofil, elle donne frisson et combativité à toute personne du public qui reprend alors avec lui le refrain.
L’expérience se termine en communion entre le public et les artistes qui le poing levé crient au monde leur détermination de faire bouger les choses.
Pour voir ce spectacle de vos propres yeux, nous vous invitons à suivre les comptes de Patrick Scheyder, Thomas Brail et Écologie culturelle et à réserver dès maintenant votre agenda pour les représentations confirmées à partir de septembre :
- 22 septembre Paris, Gaîté Lyrique, dans le cadre du Festival Anticipation, Salle immersive.
- 4 octobre Grenoble, dans le cadre du Climat Libé Tour
- 5 novembre Paris Gaîté Lyrique , dans l Auditorium
Pour prolonger la visite, quelques ressources :
- Des arbres à défendre - George Sand et Théodore Rousseau en lutte pour la forêt de Fontainebleau (1830 - 1880), Patrick Scheyder, Humensis, 2022.
- Les combats pour la nature - De la protection de la nature au progrès social, Valérie Chansigaud, 2018
- Le silence de la forêt, Olivia Gay.
- Thomas Brail, l'écureuil militant - Podcast France Culture, 2024.