Capitalisme et nature : “une histoire à déconstruire”
Quoi de mieux que des histoires au coin du feu pour aborder la fable du capitalisme ? Pour sa première veillée ce 26 mars, La Corneille a invité l’économiste Timothée Parrique et le rappeur Lémofil à témoigner de ce que notre modèle économique signifie pour le vivant.
Le capitalisme est une histoire. Pour la raconter et permettre d’en inventer une autre, La Corneille a pour la première fois convié son public à se retrouver pour une veillée au coin du feu. Sous la verrière du Centvingtsept - un lieu parisien géré par l’agence de communication Pixelis - nous nous sommes donnés rendez-vous le 26 mars à la tombée de la nuit.
Dans une ambiance intimiste, nous étions une soixantaine à nous retrouver en cercle, autour du feu, pour partager nos récits. La dame aux corneilles, aka Stacy Algrain, cofondatrice du média, a entamé la soirée en partageant son histoire personnelle. Un récit teinté d’amertume et de désarroi lorsqu’elle se rend compte, adolescente, de la pollution abritée par sa ville natale. Les cheminées de l’usine pétrochimique voisine qui a nourri sa famille pendant des années est aussi en train de les tuer à petits feux. Le capitalisme s’imbrique partout dans nos vies et a de lourdes conséquences sur la nature, comme sur le vivant, dont nous faisons partie.
La marchandisation du vivant
“Comme quand votre pote vous raconte une histoire trop belle pour être vraie, le capitalisme est une histoire, où il y a quelque chose qui cloche”, continue l’économiste spécialiste de la décroissance Timothée Parrique. Pour lui, ce moment de bascule est notamment arrivé avec le film Babe, qui met en scène un cochon qui tente de changer sa place et devenir berger au sein de la ferme. “C’est la parfaite illustration de la marchandisation du vivant”, explique le chercheur, autour du feu. “Les animaux sont des amis qui parlent, mais on continue pour autant de manger du porc à trois balles le kilo.” Par le mécanisme de ressourcification, le système économique crée alors une distance avec la nature et les êtres vivants qui deviennent des stocks à consommer.
Un constat qui a fait écho à la vie de plusieurs participants de la rencontre, appelés eux aussi à partager leurs récits. “Je n’ai jamais osé retourner sur l’île de mon enfance parce que j’avais peur de ne plus retrouver les coquillages que j’avais connus lorsque j’étais petite”, témoigne une participante, originaire de Grèce, où les paysages sont désormais mis à la disposition du tourisme et de son économie. “Cette distance face au vivant s’est soudainement rappelée à moi quand on a tué au harpon un poisson en face de moi”, partage une autre.
Retrouver une forme de "sympathie écologique"
Pour retrouver cette “sympathie de la nature”, on pourrait prendre en compte les besoins des non-humains, propose Timothée Parrique. “À l’échelle d’une ville par exemple, on sait calculer les besoins en eau, en nourriture, en énergie des habitants, pourquoi on ne pourrait pas le faire avec les autres êtres vivants ?”
Une question en forme d’espoir qu’a décidé de cultiver l’artiste Lémofil pour clôturer la soirée. Le jeune rappeur a récité des textes de poésie a capella dans un moment intense, du genre de ceux qui donnent la chair de poule. “Il est inévitable de trouver l’ennemi et le thème de ce soir, le capitalisme, c’est plutôt bien visé”, a-t-il exposé. Car pour lui, “les mots doivent aussi se transformer en acte”.