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“J’ai pris mes palmes à deux pieds et je me suis jeté à l’eau”

Ressourcerie
“J’ai pris mes palmes à deux pieds et je me suis jeté à l’eau”
La Corneille
10/10/2024

Aux travers d’entretiens portraits, découvrirez les 1001 manières de concilier votre métier avec la préservation de la biodiversité. Dans cette interview, découvrez le profil de Yannick Gouguenheim, photographe subaquatique pour l'Office Français de la Biodiversité (OFB).

Comment est-ce que tu en es venu à faire de la photographie subaquatique ?

J’ai été chargé de la communication au sein de différentes Fédérations pour la Pêche et la Protection des Milieux Aquatiques et après 12 ans dans ces structures, j’ai décidé de devenir photographe subaquatique professionnel. Depuis 2020 je travaille avec l'Office Français de la Biodiversité (OFB) et je réalise des films pédagogiques avec mon partenaire Robert Luquès, cinéaste animalier de talent. Ça part d’un constat avant tout : le manque de supports visuels de la biodiversité des eaux continentales, j’ai donc pris “mes palmes à deux pieds” et je me suis jeté à l’eau. L’idée était bien entendu d’obtenir des images pour sensibiliser les publics et plus particulièrement les enfants dans les écoles. Croyez-le ou non, ils connaissent bien mieux la grande faune africaine par exemple que les tritons et poissons présents dans leurs villages. C’est absurde, cela découle grandement des dessins animés, des peluches et du manque d'implication des parents; de la perte des traditions liées au vivant…

Si la photo sous-marine est une discipline qui se démocratise depuis de nombreuses années, la photo subaquatique en eau douce reste encore assez confidentielle. Les contraintes sont fortes, omniprésentes : température, courant, bosser seul, risque de crue, risque de lâcher de barrage, blessure... Travailler en eau douce est un vrai challenge ! Néanmoins, j’expérimente sans cesse, l’originalité est au cœur de mes projets d’images.

Qu’est-ce qui te relie au vivant dans ce métier ?

Ma motivation est de réussir à transmettre le plaisir que me procure la nature, de composer un tableau plus personnel avec elle. J’expérimente sans cesse, l’originalité est au cœur de mes projets d’image. En apnée, le changement de dimension est tout autant physique que psychologique : déconnexion totale, osmose avec le milieu, sérénité et réel sentiment de plénitude.

La nature n’étant pas chronométrée, cela génère une certaine tension qui doit être un moteur de motivation positif.

Chaque milieu aquatique est un petit monde avec ses spécificités et ses habitants. La flore de la rivière révèle sa beauté en dansant dans le courant ou en offrant des perspectives et ambiances originales. Ici tout est éphémère et merveilleux.

Une fois mes premières armes faites sur des images naturalistes, plutôt descriptives, l’envie de transcender l’espèce et de partager de l’émotion a guidé mes travaux. Le bonheur procuré par ces moments passés en compagnie d’espèces aquatiques, tant animales que végétales, a renforcé mon engagement pour la conservation des biotopes dans lesquels elles évoluent.

En quoi consiste ta journée type ?

Beaucoup d’administratif. Des relations en flux constant avec mes clients : Ministère de l'environnement, Conseils Régionaux, Syndicats de rivières, Communautés de communes... Tout cela pour imaginer conjointement de nouveaux projets pour sensibiliser et valoriser leurs patrimoines naturels. Après ces échanges, un agenda est défini pour réaliser les clichés et films durant les périodes adéquates en fonction de leurs besoins. Après un bon de commande signé, il ne reste qu'à faire le job sur lequel je me suis engagé. La nature n’étant pas chronométrée, cela génère une certaine tension qui doit être un moteur de motivation positif.

Yannick Gouguenheim a choisi de se faire le gardien du chabot du lez et de recomander la lecture de la revue La Hulotte.

As-tu l’impression d’être utile ?

Oui, je peux regarder mon enfant de 8 ans dans les yeux en lui assurant que depuis 25 ans son Papa fait de son mieux. Mes expositions tournent dans de nombreuses écoles, mairies, préfectures depuis des années. Ma nouvelle exposition “Six pieds sous l’eau la vie” sera présentée lors du Festival International de la Photographie de Nature de Montier en Der lors de la prochaine édition du 21 au 24 novembre 2024.

L'idée est de toucher les gens par l'image fixe ou l’audiovisuel. Il faut interpeller rapidement le public sans être didactique, sinon il zappe, c'est le syndrome de la télécommande. Enfin ma conférence "Voyage au cœur des eaux" est interactive, ludique et accessible à tous. Ma volonté est de partager ma passion pour la photographie subaquatique et mes connaissances environnementales, pour sensibiliser les citoyens à la richesse et à la fragilité de nos milieux aquatiques continentaux.

Quels sont les freins à ces actions ? Des limites ?

Une certaine inertie des politiques en faveur de l'environnement, trop d'administratif, mais surtout la fréquente incompréhension des enjeux face au changement climatique et à l'érosion de la biodiversité.

As-tu une anecdote en lien avec ton engagement pour le vivant à partager ?

La patience. Il y a 20 ans je travaillais pour le ministère des Seychelles. Dans un lagon je me suis retrouvé avec une énorme femelle de tortue imbriquée. Dès que je m'avançais elle s'éloignait. Au bout de 4 heures à faire ce petit jeu, nous nagions ensemble l'un à côté de l'autre, nous avons même franchi la barrière de corail ensemble. J’ai pu avoir des liens tactiles avec elle, avec son accord évidemment. Totalement magique.

“J’ai pris mes palmes à deux pieds et je me suis jeté à l’eau”
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