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“Il n'est plus acceptable que les scientifiques restent sur le banc de touche”

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“Il n'est plus acceptable que les scientifiques restent sur le banc de touche”
La Corneille

Aux travers d’entretiens portraits, découvrez les 1001 manières de concilier votre métier avec la préservation de la biodiversité. Dans cette interview, suivez le quotidien de Raphaël Seguin, biologiste marin et activiste.

Qu’est-ce qui t'a conduit à t’engager pour les océans ?

Déjà au lycée, je suivais les travaux de Sea Shepherd, de BLOOM et d’autres associations de défense du milieu marin. À 17 ans, j'ai fait ma première plongée, dans la réserve marine de Banyuls, dans les Pyrénées-Orientales. J'étais déjà fasciné par un milieu que je ne connaissais pas, mais le découvrir pendant une heure de près, ça m'a convaincu que c’était là que je voulais m'engager.

Après des études d'écologie entrecoupées de pas mal de pauses, je suis devenu "biologiste marin", ou plus précisément ingénieur de recherche en écologie marine. Je travaille aujourd’hui sur l'étude et la protection des écosystèmes marins dans un laboratoire de recherche, à l'Université de Montpellier.

Depuis quelques années, j'ai couplé ce travail de recherche à de l'activisme et à de la vulgarisation scientifique, sur Instagram notamment. J’ai participé à plusieurs campagnes de défense de l'Océan, notamment LookDown pour stopper l'exploitation minière des fonds marins, ou StopFinning, qui vise à interdire le commerce d'ailerons de requins en Europe.

Cet engagement est pour moi encore plus important que mon "vrai travail", dans le sens où la recherche n'est pour moi qu'un tremplin pour pouvoir m'exprimer et communiquer sur ces sujets, pouvoir traduire mon travail de scientifique en actions concrètes, et éviter le plus possible de m'enfermer dans une bulle académique, parfois hors sol. Étant donné l'urgence, il n'est plus acceptable que les scientifiques restent sur le banc de touche.

À quoi ressemble ta journée type ?

Au labo, mon travail c'est beaucoup de traitement et d'analyse de données, donc je passe pas mal de temps à programmer sur "R", un langage de programmation statistique. Puis je rédige les publications scientifiques en cours, et je fais des graphiques pour illustrer les résultats. Ensuite, le soir, je travaille sur les actions en cours ou sur du contenu pour le compte Instagram : écrire des scripts pour les vidéos, aider à faire du graphisme ou du montage pour les différentes actions.

Enfin, il y a le travail de terrain, parce que pour étudier ces écosystèmes, il faut passer par leur exploration. Ma spécialité, c'est l'ADN environnemental, une méthode qui permet de récupérer les traces d'ADN laissées par les êtres vivants dans un milieu pour dévoiler et connaître la biodiversité d'un endroit, du très petit au très grand, de la bactérie à la baleine. En plongée dans un récif corallien, avec des palmes dans une mangrove ou à bord d'un bateau dans le froid Patagonien, j'ai récupéré ces traces d'ADN un peu partout à travers le monde.

J’ai un peu laissé tomber ces missions de terrain, car je n’y voyais plus vraiment l’utilité.

Pour préparer une mission c'est beaucoup de travail, il faut organiser les déplacements, préparer le matériel, gérer les autorisations, entrer en contact avec les partenaires, c'est un sacré bordel. Ensuite, les journées sur le terrain, c'est génial, mais c'est aussi épuisant : les journées sont longues, on bosse beaucoup, parfois il y a de la pression car il faut gérer les imprévus... On est contents de partir faire du terrain, mais aussi d'en revenir. Surtout quand ce sont des missions comme en Patagonie où les conditions étaient vraiment compliquées : froid/pluie, promiscuité, très peu de confort… Mais j'adore ça, ce sont des moments inoubliables.

As-tu l’impression d’être utile ?

Aujourd’hui, j’ai un peu laissé tomber ces missions de terrain, car je n’y voyais plus vraiment l’utilité : on connaît l’urgence avec une précision redoutable. Est-ce qu’il est encore nécessaire de partir en avion à l’autre bout du monde pour récupérer encore plus de données ? Est-ce qu’il ne faudrait pas plutôt laisser les gens sur place s’occuper de la récolte de ces données ? C’est une large question, mais j’en ai conclu que mon utilité était plutôt en France. C’est pour ça que j’ai enchaîné avec l’ONG Bloom pour ma thèse.

Par contre, quand je vois que certaines de nos actions ont contribué à faire changer la position de la France sur un sujet, comme le deep sea mining, c’était une vraie satisfaction. Mais ça reste assez frustrant de voir que la seule arme qui nous reste  soit de créer un malaise politique à travers les médias et les réseaux sociaux. Et tous les jours, on digère des mauvaises nouvelles. C'est frustrant, mais en même temps les bonnes nouvelles,  valent le coup. Et puis les messages que je reçois sur Instagram me donnent énormément de force : des étudiants qui ont réussi à s'orienter grâce à mon aide ou à mes publications.

Quels sont les freins à tes actions ?

J’ai deux principaux freins. Le premier, c’est que je suis ultra-éparpillé parce que je veux faire trop de trucs et je n’arrive pas à me focaliser. Un coup, je veux faire du dessin pour faire des BDs engagées, puis j'essaye de faire le montage vidéo parfait etc... Mais j'essaye de travailler là-dessus ! Je ressens aussi souvent le fameux syndrome de l'imposteur, qui me fait me remettre en question 100 fois avant de m'exprimer sur un sujet de façon décomplexée, car j'ai toujours l'impression qu'il y a plus légitime que moi.

La fragmentation des savoirs c'est une arme de dépolitisation, parce qu'on n'arrive plus à penser en dehors de sa propre discipline.

As-tu un conseil à nous partager ?

On est nombreux dans ce milieu à s'ultra-spécialiser : ceux qui veulent bosser sur un taxon, une espèce, les cétacés, les oiseaux, les amphibiens... Mon conseil  d'essayer d'être transdisciplinaire. Je comprends qu'on soit passionné par une espèce, un groupe d'espèces en particulier, mais en parallèle, il faut s'intéresser aux mécanismes qui détruisent le vivant : l'histoire colonialiste de la conservation de la nature, remettre en question notre rapport au vivant et la dualité protection/exploitation, comprendre les choix politiques et économiques qui mènent systématiquement à une destruction de la nature, comprendre les problèmes avec les notions de services écosystémiques et de financiarisation de la nature, comment la croissance économique détruit le vivant... Tant de problèmes  qu’on n’apprend pas en cours,  ce qui limite fortement nos réflexions. La fragmentation des savoirs, c'est une arme de dépolitisation, parce qu'on n'arrive plus à penser en dehors de sa propre discipline.

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