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Aux portes de Paris, le laboratoire de la forêt de demain

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Aux portes de Paris, le laboratoire de la forêt de demain
La Corneille
11/7/2024

À une vingtaine de kilomètres de Paris, un des plus vastes programmes de plantation d’arbres d’Europe vise à créer une forêt sur d’anciennes terres agricoles polluées. Un énorme défi en forme de laboratoire pour expérimenter de nouvelles solutions d’adaptations tant sur le plan du climat, que sur celui de la biodiversité. Mais aussi un bon alibi pour continuer à artificialiser les terres à proximité, selon les associations de défense de l'environnement.

Les pieds de maïs fauchés cohabitent avec les nouveaux plants d’arbustes. À la vitesse de 1 000 arbres par jour, une petite dizaine de planteurs transforme un champ de la plaine de Pierrelaye-Bessancourt en forêt. Creuser, planter, piétiner, pailler. Les gestes mécaniques se suivent sans interruption. Objectif, créer le plus vite possible une “ambiance forestière”.

“On doit aller vite, mais la forêt ne verra pas le jour avant près de 80 ans”, explique le Syndicat Mixte d’Aménagement de la Plaine de Pierrelaye-Bessancourt (SMAPP).

Les planteurs sont en majorité des ouvrier en provenance d'Europe de l'Est qui peuvent planter jusqu'à 1 000 arbres par jour. © Mme Desheulles, SMAPP

Rendre cet espace à la “nature”, c’est tout l’enjeu de ce projet inédit en France qui se concentre sur une zone meurtrie par sa proximité avec Paris. D’abord ensevelie de gadoues qui arrivent de la capitale en chemin de fer dès la seconde moitié du XIXe siècle, les terres deviennent favorables aux cultures légumières, tout en étant de plus en plus couvertes de débris de toute sorte, de papiers et de tessons. En 1911, l’été particulièrement sec convainc de nombreux agriculteurs d’accepter la proposition de la ville de Paris qui souhaite faire de la plaine une zone d’épandage des eaux usées.

Une chance pour les exploitants qui peuvent compter sur des terres fertiles et irriguées toute l’année, mais une catastrophe pour la pollution des sols. C’est pourquoi en 2000, alors que Pierrelaye est devenue une des plus importantes villes agricoles d’Île-de-France, la préfecture est finalement obligée d’interdire la culture à destination de l’alimentation humaine.

C’est alors que l’idée de compléter ici la “ceinture verte” - un corridor écologique qui entoure Paris - fait son chemin. Avec le projet de la forêt de Maubuisson esquissé au début des années 2000, c’est pas moins de 1 340 hectares - l’équivalent de 1 844 terrains de football - qui pourraient à terme être végétalisés. Avec à la clé, une stabilisation de la pollution accumulée pendant des années.

© Syndicat Mixte d’Aménagement de la Plaine de Pierrelaye-Bessancourt (SMAPP)

“On ne pourra pas dépolluer les sols, c’est impossible”, explique le porteur de projet. “Nous pourrons simplement permettre de la maintenir grâce aux racines.” Mais acheter les terres pour les transformer en forêt se révèle plus compliqué que prévu. La surface est juridiquement divisée en 6 200 parcelles avec une dizaine de propriétaires en moyenne à contacter pour chacune d’entre elles. Aujourd’hui, près de 15 ans après le lancement du projet, le syndicat constitué pour mener le projet n’a pu acquérir que la moitié des terrains, parfois aux prix d’expropriations.

Pas de quoi décourager les partenaires du projets parmi lesquels la région Île-de-France, le département, l’agence de l'eau et même la mairie de Paris. Finalement en 2019, la première parcelle de la future forêt est officiellement plantée.

Imaginer la forêt du 21ᵉ siècle

Cinq ans après, ce premier terrain forestier présente des tiges d’une trentaine de centimètres rangés en rang d’oignons. Face à nos regards médusés, les forestiers se justifient : “les arbres sont alignés à la plantation pour faciliter l'entretien, mais cette symétrie va se casser avec la vie de la forêt pour lui donner un aspect plus “naturel”.

“Dans 50 ans, ils seront bien à leur place”, anticipe-t-ils, en indiquant avoir sélectionné des variétés spéciales pour s’adapter au mieux au réchauffement climatique. Charme, Eglantier, Erable de Montpellier, Tilleul, Cèdre du Liban… entre trois et quatre essences sont plantées “en mélange” sur chaque parcelle pour limiter les propagations de maladies ou d’insectes ravageurs.

En tout, près de 30 essences d'arbres ont été sélectionnées pour s'adapter au mieux au milieu et au climat futur. © SMAPP

En huit ans, il est prévu de planter plus d’un million d’arbres en lien avec les équipes de l’Office National des Forêts (ONF). Pour la première fois à si grande échelle, le syndicat tente notamment d’accélérer la croissance des arbres à l’aide de champignons mycorhiziens.

Prélevés sur des parcelles “saines” du site de la future forêt, ces champignons sont cultivés puis introduits dans le sable destiné à accueillir les futurs arbres. Une fois implantés, ils sont censés former une relation symbiotique avec les essences et favoriser le développement des racines, pour un meilleur apport en eau et en nutriments.

Deux ans après le début de l’expérimentation, le succès serait flagrant, avec une croissance plus importante de 22% par rapport à la normale sur deux arbres fruitiers, le meurisier et le poirier. “Ce n’est pas visible à l’œil nu, mais à la longue cela peut faire une grosse différence”, sourit le Chargé de mission environnement du SMAPP, en ajoutant que les analyses génétiques confirment également une abondance et une richesse plus importante en champignon mycorhizien à l’intérieur des cellules de l’arbre et dans la terre que sur les parcelles témoins. Une façon d’imaginer la forêt du 21e siècle, à croissance rapide pour séquestrer le plus de carbone, en utilisant le moins de pesticides.

Une machine à compensation pour les projets du Grand Paris

Vertueuse pour la dépollution des sols, la future forêt est aussi une opportunité pour de nombreux projets polluants d’Île-de-France. Du futur métro Grand Paris Express, au comité d’organisation des Jeux Olympiques, la plupart ont souscrit à des titres de compensation carbone ou au défrichementpour atténuer leurs impacts, sans remettre totalement en cause l'artificialisation des terres.

Avec le label bas-carbone, les porteurs du projet mettent par exemple en vente un potentiel de réduction de 13 698 tonnes de CO2 pour un prix de 663 427 €.Les parcelles concernées sont évidemment à part des autres pour éviter un doublon sur le calcul carbone et seront auditées par un organisme indépendant 5 ans après leur plantation”, tentent-ils de rassurer.

Plantation de la nouvelle forêt sur la plaine Pierrelay-Bessancourt. © Mme Desheulles -SMAPP

Une volonté environnementale à relativiser, considèrent ainsi les associations locales de défense de l'environnement. "On s’aperçoit que la plantation de la forêt sert d’alibi pour urbaniser des terrains à proximité", indique Benoît Huet, membre de France nature environnement Val-d'Oise. A Taverny, la ville voisine, des habitants se mobilisent par exemple pour empêcher la construction de logements sur quatorze hectares de terres agricoles. "La mairie dit clairement qu'on fait déjà assez avec la forêt, alors que du fait de la pollution des sols, on ne pouvait de toute façon rien faire d'autre qu'une forêt sur la plaine Pierrelaye-Bessancourt."

Une fois plantée, les associations s'inquiètent aussi de savoir si la forêt pourra se développer correctement. Car si les forestiers sont fiers de présenter un taux de pousse avantageux (de 89% un an après la mise en terre), les aléas sont nombreux dans ce genre de forêt urbaine. L’année dernière, 7 hectares de parcelles sont par exemple parties en fumée à cause d’un incendie causé par un mégot venant de l'autoroute à proximité, le site est toujours victime de dégradation due à des dépôts sauvages ou des rodéos à moto et les sécheresses se font de plus en plus intenses.

Enfin, les jeunes arbres doivent faire face à de nombreuses espèces exotiques envahissantes (EEE). La renouée du Japon donne particulièrement du fil à retordre aux responsables de la forêt. Depuis qu’elle a été introduite en Europe au 19e siècle et qu’elle s’est échappée des jardins, cette plante vivace colonise de nombreux territoires. “On a tout imaginé : choc électrique, coupe répressive régulière, écopaturage rendu compliqué par la pollution etc... mais rien à faire, pour l’éliminer, il faudra mettre des bâches pour asphyxier les racines et éviter toute repousse”, soupire le chargé de mission environnement du SMAPP. On a aussi installé des perches pour que les rapaces présent sur place puissent mieux contrôler les rongeurs et les chasseurs continuent de s’occuper du gibier malgré l’interdiction de consommer les produits de la forêt, liée à la pollution du site. "Nous sommes prêts à dialoguer avec les institutions et collectivités pour permettre à tous les usagers de cohabiter", conclut Benoît Huet, au nom des associations locales.

Et la biodiversité dans tout ça ?

“Retrouver l’état boisé d’une plaine qui l’était jusqu’au 18e siècle et ainsi permettre les conditions propices au développement de la biodiversité.” Voilà pour l’idéal. Pour ce qui est de sa réalisation, l’étude biodiversité intégrale du site est toujours en cours, mais déjà des premiers projets de restauration des écosystèmes se dessinent.

Plantation de la nouvelle forêt sur la plaine Pierrelay-Bessancourt. © Mme Desheulles - SMAPP

La forêt de Maubuisson intègre plusieurs “clairières biodiversité”, soit des zones ouvertes et sans plantations pour permettre aux espèces de circuler, ainsi que deux zones humides, via le projet de renaturation du Ru de Liesse et plus largement de la continuité entre la Seine et l'Oise. Un cours d’eau aujourd’hui artificialisé qui pourrait à terme permettre de constituer une trame écologique entre l’Oise et la Seine. Rendez-vous en 2100, pour voir à quoi ressemblera cette forêt créée de toute pièce et qui se prétend comme riche, diverse et adaptée à son climat.

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